La Ministre des Sports, Roxanna Maracineanu, plus habituées à fréquenter les bassins durant sa belle carrière de nageuse, s'est montrée choquée pour ne pas dire scandalisée après avoir été le témoin des insultes proférées par les supporters durant le dernier PSG-OM. S'il est toujours regrettable d'entendre ces insultes, il ne faudrait pas qu'elles soient prises au premier degré. Nous avons retrouvé sur le site Slate.fr un échange entre David Brunat, ancien conseiller de Jacques Barrot au ministère des Affaire sociales ayant fondé une société spécialisée dans le conseil, les relations institutionnelles et les stratégies d'influence et Jean-François Pradeau, professeur de philosophie antique à l'université de Lyon III-Jean Moulin. Très instructif...
Ce n'est pas parce qu'elles sont anciennes que ces pratiques doivent perdurer. Les insultes, homophobes notamment, sont interdites par la loi et elles seraient tolérables dans les stades? 2/2
— Roxana Maracineanu (@RoxaMaracineanu) 23 mars 2019
[penci_blockquote style="style-1" align="none" author="David Brunat" text_size="20"]"Les tribunes constituent peut-être un espace de respiration indispensable à notre société."[/penci_blockquote]
[penci_blockquote style="style-2" align="none" author="David Brunat - Source : Slate.fr" text_size="20"]La violence est l’ombre portée du supportérisme. Le foot est par essence un sport canaille –ce qui ne fait qu’ajouter à sa portée universelle et anthropologiquement incomparable– et il n’y a rien d’étrange à ce que les supporters de foot ne se comportent pas comme des amateurs de polo ou des fans de golf ou de bridge.
Mais attention, la violence n’est pas forcément physique: elle peut être seulement verbale. Mais elle est au moins verbale, car l’animation du stade est faite d’insultes autant que de chants, d’anathèmes autant que de signes d’appartenance commune (écharpes, couleurs, etc.). Il faut gueuler, faire du boucan, exprimer ses sentiments de façon exacerbée. C’est une dramaturgie.
Le supportérisme repose sur une dialectique ami/ennemi. L’esprit de nuance et de tolérance lui est totalement étranger. Et la défaite de l’équipe ou du joueur que vous «supportez» est un scandale absolu, une injustice existentielle.
Les tribunes, ces espaces de déviance, sortes de zones d’ombre des stades où naguère, au PSG, des jeunes bourgeois se pressaient pour ressentir des frissons en s’encanaillant dans les virages, constituent peut-être un espace de respiration indispensable à notre société, même si le prix social à payer est parfois très élevé.
Leur fonction cathartique est connue. L’essentiel est que ces virages restent des virages, des marges, confinées et compatibles avec l’ordre social.
Je crois qu’aller plus loin dans la régulation, dans la police des mœurs des tribunes, conduirait à anesthésier les stades et à couper le club d’une partie de ses forces vives.
Le supportérisme Ultra est absolument vilipendé. C’est un objet de moquerie ou de peur, en tout cas d’incompréhension.
Parce qu’il est violent, partial, obsessionnel, limite fanatisé, on s’imagine bien souvent qu’il est uniquement le fait de délinquants et de brutes épaisses. Toutes les études démontrent qu’il n’en est rien.
En Italie, des intellectuels de premier ordre sont des enragés de telle ou telle équipe au même titre que des gens sans aucune instruction. Dans les grandes universités de la Péninsule, vous passez pour un type bizarre, limite cinglé, si vous n’êtes pas supporter d’une grande équipe de foot, genre la Lazio, la Juventus, l’AC Milan ou la Fiorentina, et si vous ne prenez pas parti avec ferveur pour votre équipe.
Un grand philosophe supporter de la Lazio vous expliquera doctement que les joueurs de la Roma sont des crétins et pratiquent un jeu d’imbéciles… En France, c’est le contraire: l’intelligence est jugée peu compatible avec l’engagement du supporter.[/penci_blockquote]
[penci_blockquote style="style-1" align="none" author="Jean-François Pradeau" text_size="20"]"Traiter un arbitre ou un adversaire d’enculé relève d’une forme de socialité et sans doute d’exigence morale dont on doit mieux prendre la mesure"[/penci_blockquote]
[penci_blockquote style="style-2" align="none" author="Jean-François Pradeau - Source : Slate.fr" text_size="20"]Si l’on suppose, comme semble le faire David, que la violence, la vulgarité et la bêtise vont de pair, on peut sans doute répondre que ce sont des caractéristiques qui collent bien au cliché. Mais on manquera comme toujours l’essentiel : dans les tribunes, il y a du savoir, de la culture, des traditions, de l’amour et de la joie. Il suffit d’y passer cinq minutes pour s’en rendre compte.
Il y a au cœur de l’expérience des tribunes une dramaturgie de l’antagonisme et de l’affrontement. Mais elle n’a rien d’un déchaînement irraisonné.
Elle est au cœur de la célébration, qui a son unité de temps et de lieu et qui est en réalité extrêmement codée. Au Parc des Princes, qui n’est pas du tout un stade immense, près de 45.000 personnes vivent cette cérémonie. S’il s’agissait de violence pure et de boulons, il y aurait une centaine de morts chaque week-end et la société y mettrait fin.
Traiter un arbitre ou un adversaire d’enculé relève d’une forme de socialité et sans doute d’exigence morale dont on doit mieux prendre la mesure. Le supporter vit une expérience à la fois morale et amoureuse dans les tribunes.
Mais est-ce encore une insulte? L’insulte des tribunes est une insulte cultivée, qui est nourrie à une véritable histoire sociale. Un supporter parisien sait bien qu’un supporter du Nord du pays doit être qualifié de «chômeur consanguin» quand celui d’Auxerre méritera un qualificatif plus amène de «paysan» et que l’on réservera le registre sodomite à un Marseillais.
Heureusement qu’il y a des virages. Et la déviance des virages, il suffit de les fréquenter, n’en fait pas du tout – ce sont toujours les mêmes clichés- des espaces de non-droit violents. Il y a dans ces tribunes des cérémonies festives; ce sont des lieux de chants et de joie. On s’y amuse.[/penci_blockquote]