La présentation des cinquante meilleurs joueurs de l’histoire de l’AS Saint-Etienne continue. Après vous avoir exposé les portraits des joueurs situés de la 21e à la 50e place par ordre alphabétique, nous vous révélons désormais ceux qui sont situés de la 20e à la première place. Cette fois-ci, ils seront publiés dans l’ordre décroissant. Après le 14e, Claude Abbes, place au 13e : Dominique Rocheteau !

DOMINIQUE ROCHETEAU
(197 matches, 57 buts de 1971 à 1980)
LA PREMIERE « ROCK STAR » DE L’ASSE

LES ROCHETEAU ET LE FOOTBALL : UNE VERITABLE HISTOIRE D’AMOUR

Dominique Rocheteau est né à Saintes (Charente-Maritime) le 14 janvier 1955 mais il a vécu à Etaules, un petit village situé à une quinzaine de kilomètres et baigné par le rythme de l’ostréiculture. Il est très tôt happé par le virus du football et chaque occasion est propice pour jouer une partie avec les copains d’autant plus que le Père Rocheteau est assidu du ballon rond dominical dans son petit club de l’Union Sportives D’Etaules. Même la mère joue dans l’équipe féminine tout comme sa sœur. Une vraie passion communicative qui déteint sur Dominique. Elle s’est toujours exercée dans un esprit de fair-play absolu malgré la compétition. C’est une leçon qu’il n’a jamais oubliée.

Les débuts du petit Dominique dans les rangs des minimes de l’US Etaules sont époustouflants. En tant qu’avant-centre, il peut mettre en évidence des qualités de dribbleur et de buteur exceptionnelles. En 1967, il marque les onze buts de son équipe contre Bourcefranc et les sept buts de sa formation contre Marennes. Contre Breuillet, il en inscrit neuf. Pendant la saison 1969-70, en trente-six rencontres avec l’équipe de son lycée et celle de son club, il marque 139 buts. Du jamais vu.

Naturellement en 1971, il parvient à se qualifier pour la phase finale du concours du jeune footballeur qui se déroule à Paris. Et là patatras, Rocheteau n’obtient qu’une anonyme 22e place, indigne de son rang. Pourtant, conseillé par Jean Oleksiak qui l’avait remarqué lors d’une rencontre opposant l’équipe du Centre-Ouest à celle du Lyonnais, Pierre Garonnaire présent à cette compétition, lui propose de passer un stage à l’AS Saint-Etienne l’été suivant. Dans son carnet impitoyable, il avait noté « dribble exceptionnel ».

Pendant une semaine, il a le privilège de côtoyer les professionnels du club comme Jean-Michel Larqué, Salif Keita ou Georges Bereta (qui vient d’ailleurs le récupérer tous les matins à son hôtel). Cette expérience est concluante et Garonnaire fait le forcing pour que le jeune attaquant s’engage avec les Verts dès la saison suivante. Rocheteau est réticent à quitter définitivement sa région mais il consent cependant à signer un contrat de non-sollicitation en faveur de l’ASSE et le rendez-vous est pris le 10 août 1971.

Ce jour-là, alors que le recruteur stéphanois continue de vanter les mérites de son club, le président de La Rochelle, la future destination prévue pour Dominique, s’invite à la conversation et il fait une description sans concession du monde professionnel n’hésitant pas à comparer Garonnaire à un « marchand de bestiaux ». Ses attaques virulentes mettent mal à l’aise la famille Rocheteau, vexée par tant d’animosité. Certes, la perspective de perdre un élément de valeur pour son équipe a peut-être entraîné une réaction inopportune de la part du visiteur indélicat, mais son attitude inexcusable a eu exactement l’effet inverse de celui qu’il espérait. Dominique Rocheteau prend alors une décision irrévocable : il sera stéphanois la saison prochaine.

UNE FORMATION FREINEE PAR LES BLESSURES

Nanti d’un contrat de stagiaire pro à 1000 francs par mois, Rocheteau a trois ans pour faire ses preuves. Il débute dans l’équipe de troisième division sous les ordres de Robert Philippe qui le fait jouer en tant qu’ailier droit (le poste d’avant-centre est occupé par…Jacques Santini) avec toutefois une certaine liberté sur le front de l’attaque. Il bénéficie des conseils d’anciens comme Aimé Jacquet qui l’a pris sous son aile. Son intégration se passe donc pour le mieux et il a même la possibilité d’assister à des entraînements dirigés par Albert Batteux qui effectue sa dernière saison au club.

La nomination de Robert Herbin conforte sa position et ce dernier le fait même débuter le 29 septembre 1972 contre Nancy. Sa prestation jugée satisfaisante a néanmoins souffert d’un manque évident de densité physique qui l’a empêché d’exprimer toutes ses qualités. S’il veut progresser, il n’y a désormais aucun doute, il va devoir se consacrer à fond au football et dans cette perspective, Rocheteau décide d’effectuer son service militaire dès la saison suivante. Cette année sous les ordres de Guy Briet lui a fait un bien fou, car « le Chef » comme est surnommé le responsable de l’équipe de France militaire a fait travailler sa condition physique sans relâche. Dominique se sent désormais fin prêt à assumer ses responsabilités dans les rangs des professionnels de l’AS Saint-Etienne. Il est temps car son contrat en cette fin de saison 1974 se termine et son avenir est en train de se décider.

Tous les voyants sont au vert et il est même aligné au sein de l’attaque stéphanoise qui rencontre l’Olympique Lyonnais ce 19 avril 1974, un match qui sent toutefois la poudre. Les Verts vont devenir champion de France pour la première fois depuis la prise de fonction de Herbin et cette réussite étincelante agace des voisins jaloux par un retour au premier plan aussi rapide. A dix minutes de la fin de la rencontre, le défenseur Bernard Lhomme, dont la réputation n’est plus à faire, tacle sévèrement Dominique Rocheteau. Le verdict est sans appel : le ménisque est broyé. La rééducation est longue et les résultats ne sont pas garantis.

A force d’obstination, pourtant, l’attaquant est de nouveau sur pied au mois d’août. Malheureusement, comble de malchance ou à cause d’un retour à la compétition trop tôt, Rocheteau se blesse à nouveau lors d’un match de coupe d’été en Autriche. Victime d’un claquage à la cuisse gauche, son avenir s’assombrit tout d’un coup et sa carrière prend une vilaine tournure avant même d’avoir réellement débuté. Une année supplémentaire en troisième division est nécessaire alors que le club commence à réaliser ses premiers exploits en coupe d’Europe. Toutefois, ayant démontré qu’il ne renoncerait jamais, ses efforts sont enfin couronnés de succès et à l’aube de la saison 1975-76, il se voit offrir un contrat professionnel de quatre ans. Le plus dur reste à faire cependant : s’imposer en équipe première.

UN ANGE VERT APPARAIT

Une nouvelle saison commence et l’AS Saint-Etienne se prépare en jouant des matches amicaux pour peaufiner ses automatismes. Ce 30 juillet 1975, les Verts reçoivent à Geoffroy-Guichard la formation anglaise de Leeds, récente finaliste de la Coupe d’Europe des Clubs champions. Les Britanniques dominent sans partage la première mi-temps et ils mènent logiquement 1-0 à la pause. Dominique Rocheteau remplace Patrick Revelli et entame la seconde mi-temps mais les visiteurs sont toujours autant maîtres de leur sujet. Pourtant, à la 62e minute, l’ailier droit stéphanois se retrouve à point nommé pour réceptionner un corner de Jacques Santini et du pied gauche, malgré l’angle fermé, il égalise. Sept minutes plus tard, il reprend un tir de Christian Synaeghel qui a percuté la transversale et il loge le ballon sous la barre ; les Verts mènent 2-1 contre toute attente. Score final 4-1 pour l’ASSE, Rocheteau fait une entrée remarquée et selon la presse, il devient l’attaquant qui doit confirmer cette année.

Quelques jours plus tard, les Stéphanois affrontent une autre équipe internationale, le Penarol Montevidéo. Cette fois-ci, Rocheteau débute la rencontre et il réalise un festival sur son côté droit devant le sélectionneur national, Stefan Kovacs venu le superviser. Il est retenu pour jouer contre le Real Madrid en match amical avec les Bleus le 19 août 1975. La France gagne 3-1 et incroyable, il est l’auteur  des deux des trois buts français dont un sur une frappe en pleine lucarne. C’est une véritable résurrection quand on sait qu’il y a un an à peine, on ne savait pas s’il allait vraiment se sortir des blessures à répétition.

Rocheteau est dès lors titulaire indiscutable au sein de l’attaque stéphanoise qui entame une nouvelle campagne européenne. Le deuxième tour emmène l’ASSE à Glasgow où elle doit défier les Rangers nantis d’une avance confortable de deux buts acquis au match aller. L’ailier stéphanois est tout simplement éblouissant avec un but marqué et une passe décisive devant des millions de téléspectateurs subjugués par tant de facilité et de talent. Un ange vert est né.

Quelques mois plus tard, il est un des héros du mémorable match retour des quarts de finale de la Coupe d’Europe des Clubs champions contre le Dynamo Kiev. Il inscrit le but de la qualification dans les prolongations à la suite d’un débordement stratosphérique et d’un centre en retrait de Patrick Revelli. Pour la petite histoire, il demandait à quitter le terrain quelques minutes auparavant, complètement épuisé. Herbin lui a juste demandé de rester à l’affût d’un bon ballon. On connaît la suite.

A Eindhoven, pour les demi-finales, comme ses camarades, il résiste pour défendre le but d’avance acquis à Geoffroy-Guichard. Il marque même un but qui est refusé pour un hors-jeu contestable. Cela n’empêche pas les Verts de se qualifier pour la finale. Malheureusement, à une demi-heure de la fin du match, il ressent une violente douleur à la jambe et cette blessure est bien plus grave qu’il n’y parait. Il ne pourra se rétablir à temps et il ne peut jouer que les huit dernières minutes de la finale. Insuffisant pour permettre aux Verts de gagner ce maudit match.

En une année, Dominique Rocheteau accède au rang de star, l’une des premières du football qui fait jeu égal avec celles de la chanson et du cinéma. Sa carrière est alors bien lancée et jusqu’en 1980, il fait les beaux jours de l’attaque stéphanoise. Après les titres de champion de 1974, 1975 et celui plus abouti de 1976, il remporte la Coupe de France 1977 avec les Verts. Il réalise en 1978-79 sa meilleure saison avec vingt-quatre buts inscrits et pourtant au fil des mois ses rapports avec les dirigeants stéphanois se détériorent. Roger Rocher, le président des Verts l’a même attaqué en justice pour une sombre histoire de contrat publicitaire. Rocheteau est condamné à verser la somme de dix mille francs au club pour avoir signé un accord de partenariat avec un équipementier local (Duarig) alors que cela n’était pas autorisé par le règlement interne de l’ASSE. Aujourd’hui, on pourrait en sourire mais cette affaire a pu laisser des traces et quand le Paris SG s’est déclaré en juin 1980 pour l’enrôler, il a fini par accepter la proposition parisienne malgré le forcing de Herbin pour le faire changer d’avis.

Dominique Rocheteau est devenu, bien malgré lui, une légende nationale. Les cheveux au vent, la tunique verte sur le dos il acquis un surnom qui a été parfois lourd à porter : « l’Ange vert ». Tout au long de sa carrière, il s’est battu pour promouvoir un football dénué de coups bas et pas encore perverti par l’argent. Pour toutes ses raisons, il aura toujours sa place au panthéon des personnalités qui ont marqué l’histoire de l’Association Sportive de Saint-Etienne.