La présentation des cinquante meilleurs joueurs de l’histoire de l’AS Saint-Etienne continue. Après vous avoir exposé les portraits des joueurs situés de la 21ᵉ à la 50ᵉ place par ordre alphabétique, nous vous révélons désormais ceux qui sont situés de la 20ᵉ à la première place. Cette fois-ci, ils seront publiés dans l’ordre décroissant. Après le 13ᵉ, Dominique Rocheteau, place au 12ᵉ ! Vladimir Durkovic (155 matches, de 1967 à 1971). Le meilleur latéral droit de l’histoire de l’ASSE.

Un yougoslave au palmarès exceptionnel

Vladimir Durkovic est né le 6 novembre 1937 (selon les sources les plus crédibles car d’autres parlent de l’année 1938, voire 1939) à Djakovica (aujourd’hui en Serbie dans la province du Kosovo). Issu d’une famille d’intellectuels (son père était instituteur) il aurait dû suivre la voie de ses frères et sœurs. Son frère aîné a embrassé la carrière d’avocat, ses deux sœurs sont devenues professeurs de français ainsi que, signe du destin, sa femme. Rien ne le prédisposait à devenir un joueur de football professionnel. D’autant plus qu’il obtient son baccalauréat en 1956.
Il décide de tenter sa chance dans le football et se trouve recruté en tant qu’attaquant dans la célèbre équipe de l’Etoile Rouge de Belgrade. Il brave alors la colère de son père qui l’avait menacé de le chasser de la maison s’il poursuivait dans cette idée. Il ne cède pas et prend son baluchon pour devenir un titulaire indiscutable des Rouges aux Blancs au poste de… défenseur. En effet, contraint et forcé, il devient un arrière latéral en 1958 et rapidement l’un des meilleurs spécialistes de son pays, la Yougoslavie. Il se forge alors un palmarès remarquable avec 5 championnats (1956, 1957, 1959, 1960 et 1964) et 3 coupes nationales (1958, 1959, 1964).

Vladimir Durkovic, pilier de l’équipe nationale de Yougoslavie

Il intègre naturellement l’équipe de Yougoslavie avec laquelle il est sélectionné 50 fois. Il se hisse sur le toit de l’Europe en ce début des années 60. En juillet 1960, la Yougoslavie de Durkovic parvient en finale des premiers championnats d’Europe des Nations en battant en demi-finale la France de Robert Herbin. 5-4 après avoir été mené 4-2. Quelques semaines plus tard, en septembre 1960, elle obtient la médaille d’or aux jeux olympiques de Rome en battant le Danemark en finale après ne s’être qualifiée qu’à l’issue d’un tirage au sort. Et en 1962, au Chili, elle termine à une brillante 4ᵉ place de la coupe du Monde.

C’est donc un joueur à la carte de visite impressionnante qui atterrit au Borussia Moenchengladbach en 1966 pour sa première expérience hors de ses frontières. Et pourtant, il ne s’impose pas au sein de l’équipe de Gunter Netzer où il ne participe qu’à dix journées de championnat. Il veut demande à être transféré dans un autre club et pourquoi pas en France, lui qui a la chance de déjà parler cette langue.

Une vedette débarque à l’ASSE

Les Verts sont justement à la recherche d’un arrière latéral. Albert Batteux, qui a déjà pris ses aises en ce mois de juin 1967, a cerné les manques de sa nouvelle équipe pour la renforcer et lui permettre de conserver son titre de champion de France acquis avec Jean Snella. Il est intéressé par le profil du Yougoslave, mais Saint-Etienne veut d’abord s’assurer que son échec relatif en Allemagne n’est qu’un accident de parcours. Les dirigeants stéphanois l’invitent pour effectuer des essais à l’occasion de matchs amicaux que les Verts doivent disputer coup sur coup le 18 juin contre le Borussia Dortmund au Havre (quatre jours seulement après avoir étrillé Lyon à l’occasion du challenge des Champions, 3-0) et le 21 juin face au Cavigal de Nice.

À chaque fois, Durkovic rend une copie propre. Jamais dépassé par le rythme allemand, il est une des principales satisfactions malgré la défaite 2-0. Contre le Cavigal, il est à son avantage, dominant facilement l’ailier adverse, Charly Loubet, international français, d’ailleurs écœuré par le traitement qu’il lui fait subir, un peu trop viril à son goût. Impressionnée par ses prestations, l’ASSE s’entend avec le joueur et le Borussia Moenchengladbach pour que le Yougoslave intègre dès l’été 1967 l’équipe fanion lui dispensant ainsi d’honorer sa dernière année de contrat en Allemagne.

Les dirigeants stéphanois ne se sont pas trompés. Vladimir Durkovic s’intègre rapidement dans le Forez. Il fait montre d’une mentalité irréprochable, d’un parfait professionnalisme et de qualités techniques et défensives impressionnantes. Ses nouveaux co-équipiers apprennent à connaître un partenaire qui voue une haine viscérale pour la défaite, même à l’entraînement. Sérieux à toute épreuve, il ne tolère pas que l’on galvaude son métier. Terriblement orgueilleux, il ne supporte pas être pris défaut. A tel point qu’il n’hésitait pas à se venger lorsqu’il estimait qu’un attaquant lui « avait manqué de respect » même si ce dernier porte le même maillot que lui tous les dimanches.

Vladimir Durkovic, un professionnel intransigeant

Rapidement, il devient l’un des piliers de l’ASSE avec laquelle il étoffe son palmarès en rajoutant quatre championnats et deux coupes de France. Il est celui qui rameute les troupes quand le besoin s’en fait sentir, à l’affût du moindre relâchement. Lorsqu’il prend la parole pour fustiger tel ou tel comportement, il est écouté religieusement car personne, pas même Robert Herbin ni Bernard Bosquier, pourtant des hommes de caractère, ne s’aventurait à le contredire.

Avec un homme de cette trempe, Saint-Etienne ne pouvait que dominer le football français en cette fin des années 60. Dommage qu’il n’ait pas été mieux soutenu sur la scène européenne car les résultats auraient été bien plus convaincants. D’ailleurs, une de ses colères mémorables est peut-être à l’origine du premier exploit stéphanois en Coupe d’Europe. Ulcéré par l’attitude de certains à la suite de la défaite de l’ASSE en seizième de finale aller de la Coupe des Champions en Bavière face au Bayern Munich (0-2) en 1969, il avait fait trembler les murs des vestiaires par ses reproches cinglants. Tous avaient baissé la tête pour ne pas avoir à supporter son regard d’acier et nombreux sont ceux qui voulaient se faire pardonner à l’occasion du match retour remporté 3-0 à Geoffroy Guichard.

Salif Keita, l’attaquant malien de l’ASSE, peut-être le meilleur joueur de l’histoire à avoir porté le maillot vert, lui vouait une estime sans bornes, ce qui ne l’empêchait pas de le craindre énormément. Par son caractère nonchalant, malgré tout son talent et son statut dans l’équipe, il lui arrivait d’être l’objet du courroux du Yougoslave. Humblement, il courbait l’échine, s’évertuant à donner le meilleur de lui-même le plus souvent possible pour éviter les terribles remarques. Il avait eu cette formule qui résumait à elle seule sa pensée :
« Lorsque je fais une bêtise sur le terrain, j’évite de me retourner. Je sais que Durkovic me regarde, et il me fait peur… ».

Grâce à des hommes comme Vladimir Durkovic, qui ont su personnifier l’état d’esprit stéphanois (en portant haut les valeur de courage, de solidarité, le goût de l’effort, le sacrifice de soi), l’AS Saint-Etienne a imposé sa marque aux quatre coins de France pendant les quatre ans de présence du Yougoslave.

En 1971, il signe au FC Sion. La petite histoire retiendra qu’il a été celui qui a conseillé à Yvan Curkovic de venir jouer à l’ASSE plutôt que de s’engager avec Bastia comme il était sur le point de le faire. Malheureusement, la grande histoire rappellera qu’il est tombé sous les balles d’un policier ivre, peut-être impressionné par son regard, un maudit 24 juin 1972. Il allait avoir 35 ans.

 

By Albert Pilia