Médecin historique de l'AS Saint-Etienne, Tarak s'est livré à un exercice plutôt rare pour lui. Discret, Doc des Verts depuis 17 ans, il s'est exprimé auprès de Romain Colange du Progrès. L'occasion de balayer une belle carrière à 60 ans. Extraits.
« Je me suis inscrit à la faculté de Saint-Étienne, que je ne savais même pas placer sur une carte, car j’étais passionné de l’ASSE et que je voulais voir les matches. Quand je suis venu pour faire mes études, je ne savais même pas qu’il y avait un médecin au club.
J’étais dans mon cabinet, à Annonay, qui était le plus gros d’Ardèche-Nord, quand le médecin de l’ASSE de l’époque, Guy Demonteil, a appelé le responsable de la médecine du sport de l’hôpital Nord pour lui dire qu’il cherchait quelqu’un. Il a donné mon nom et quand il m’a contacté j’ai dit : “Non, ça ne m’intéresse pas. Ma femme m’a poussé à y aller en me disant que j’allais boucler la boucle. Je suis venu faire mes études à Saint-Étienne pour l’ASSE et des années plus tard, c’est l’ASSE qui est venue à moi. »
"c’est l’ASSE qui est venue à moi."
« Oui, et la médecine de ville m’a énormément aidé. Cela me permet de faire de la pédiatrie, je n’ai aucun problème, si besoin, à voir les enfants ou la famille des joueurs. En ville, on voit des patients avec des pathologies chroniques que je n’ai pas ici : je suis médecin traitant des joueurs mais ils sont en bonne santé. Avant, j’avais de vrais malades, dans la vraie vie. »
« La médecine, c’est avoir un coup d’avance sur la maladie et donc la blessure. À l’ASSE, on essaye de la prévenir. Une fois que la blessure est là, on s’en fout car tout le monde la constate ! Ce qui m’agace, c’est quand on avait les moyens qu’elle ne survienne pas et qu’on ne les a pas utilisés. Ça me rend très désagréable et ça crée des tensions. Je suis quelqu’un de gentil, avec tout le monde, mais je ne suis pas très agréable dans le boulot car je n’aime pas l’échec.
"Les joueurs sont tous mes enfants"
La blessure. Quand elle survient, c’est un échec et je veux comprendre pourquoi elle est survenue. Je pense que, parfois, on ne se penche pas assez dessus. [...] Après, on ne peut pas toujours les éviter. »
[...] Les joueurs sont tous mes enfants : j’en ai cinq (quatre filles, un garçon, NDLR) à la maison et trente ici. Et je leur parle comme à mes gosses. Je suis à la fois le papa, le grand frère, le pote… Tout ce qu’ils veulent mais, par contre, je ne me compromets pas. Pour que la relation de confiance s’installe avec les joueurs et les dirigeants, il ne faut pas.
Aujourd’hui, on m’écoute car on me fait confiance de par mon expérience du haut niveau. Si je dis à un joueur qu’il peut jouer, il va y aller. À l’inverse, si je lui dis non, il va se poser des questions. Moi, je prends des risques, mais des risques calculés. Mon objectif, c’est de faire en sorte que mon patient puisse exprimer sa quintessence le week-end dans l’intérêt de l’institution. Qu’il soit bon ou pas, je m’en fous !
Un entraîneur m’a demandé un jour de lui garder un joueur car il n’allait pas le faire jouer et qu’il allait foutre le bordel (sic). Mais ça, ce n’est pas mon problème et je lui ai dit. Plus tard, il est revenu me voir en me disant : “C’est toi qui as raison mais dans mes autres clubs, les docteurs le faisaient.” »
Des anecdotes à la pelle
« Il y a plus de blessures au niveau de l’ischio car le football a changé. C’est ce que j’avais dit à Claude Puel quand il comparait avec le foot de son époque. Il s’était vexé (sourire). Aujourd’hui, le jeu est plus rapide, il y a plus de sprinteurs. »
« M’Vila. C’est l’exemple même de quelqu’un qui peut jouer avec deux lésions musculaires et à son niveau. Médicalement, ça ne s’explique pas. Debuchy, aussi, avait une résistance à la douleur pas possible. On apprend beaucoup de ces joueurs-là. »
Lors d’une visite médicale d’embauche, j’ai déjà dit à un joueur : “Je te conseille d’arrêter le foot mais je ne te refuse pas. Par contre, dans dix ans, tu ne seras pas en mesure d’aller faire un footing avec tes enfants.” Il a été surpris mais je ne peux pas ne pas l’informer sinon, je ne fais pas mon métier comme il faut. »
Bientôt la retraite ?
« Je pense avoir tout donné dans le football. Je pense et j’espère que je finirai à l’ASSE même si ce club est compliqué. Je suis libre, je n’aurai aucun problème à partir. »
👨⚕️ Sa parole est rare : le médecin de l’#ASSE, Tarak Bouzaabia, s’est longuement confié sur son parcours, son rôle, sa relation avec les joueurs. Sans langue de bois.
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— Romain Colange (@RomainColange) May 2, 2023