De nombreux amalgames et fausses informations sont véhiculés lorsqu'il s'agit d'évoquer les supporters de football. En effet, c'est pourquoi nous vous proposons des détails sur l'origine et un historique du supporterisme dans le football avec notamment les différents moments clefs d'influence du rôle de supporters.

a) La naissance du supporterisme dans le football

Le football à son balbutiement n’est que très peu ouvert à la présence de supporters aux abords du stade. Les promoteurs des sports modernes, généralement issus de la bourgeoisie, voient d’un mauvais œil la présence de supporters, qu’ils perçoivent comme un risque à la bonne tenue de l’événement sportif. Cette aversion envers le public s’explique en partie par la volonté de ce dernier de voir du spectacle, qui prendrait le dessus aux dépens de la stratégie. Les organisateurs craignent également une modification des valeurs du ballon rond, qui viendrait ternir l’image de ce sport à cause d’un manque de rationalité de la part des supporters.

Toutefois, le football se démocratise au courant du XXème siècle et les fans font leur apparition. À cette période, les amateurs s’attachent majoritairement au club local. Ils sont alors en position de force lorsque leur club de cœur joue à domicile, car les déplacements de supporters n’existent pas encore. Ces premiers encouragements sont encore très différents de ce que l’on voit aujourd’hui. Les supporters applaudissent, crient individuellement lorsqu’ils estiment avoir vu une belle ou une mauvaise action des joueurs, mais les animations ou les chants en chœur sont encore denrée rare.

En France, les premières associations de supporters voient le jour dès les années 1910. Elles n’ont pas pour but d’enflammer la tribune, de se casser la voix pour pousser les joueurs à la victoire, mais se contentent de réunir des passionnés de football et amoureux du club dans le but de créer du lien social et de se rapprocher des joueurs et des dirigeants. Les membres proposent à cette époque leurs services afin d’aider le club les jours de matchs, comme à la billetterie ou à la buvette. À cette période, bien qu’un engouement autour de ce sport commence à prendre forme dans l’Hexagone, il reste modéré en comparaison à des pays voisins tels que l’Allemagne, l’Italie ou encore l’Angleterre, en raison notamment de la concurrence d’autres sports majeurs dans le pays, comme le rugby ou le cyclisme.

Magic Fans of Saint Etienne during the Ligue 1 match between Saint-Etienne and Nimes at Stade Geoffroy-Guichard on January 25, 2020 in Saint-Etienne, France. (Photo by Romain Biard/Icon Sport)

b) L’émergence de divers modèles de supporterisme en Europe

Dans les années 60, en Angleterre, certains jeunes commencent à se regrouper dans la tribune derrière les buts. Cette tribune prendra rapidement le nom de « kop », en référence à une colline d’Afrique du Sud nommée Spion Kop où de nombreux soldats anglais perdirent la vie. Deux versions existent pour faire le lien: "La première version veut que ce soit en hommage aux combattants britanniques morts lors de cette bataille que l’on ait baptisé certaines tribunes anglaises du nom de Spion Kop. L’autre, plus imagée, veut que ce soit par analogie entre la furie des combats sur cette colline pentue et celle des supporters dans des gradins escarpés." Liverpool renomme donc sa tribune populaire « Spion Kop », et le terme kop se démocratisera par la suite.

C’est à cette période que sont séparés les supporters locaux des visiteurs, jusqu’ici mélangés. Pour cela, une tribune est désormais réservée au club évoluant à l’extérieur. Cette mesure n’est pas prise aléatoirement. En effet, la tendance hooligan naît à cette période. Ces hooligans sont « des adeptes de sport usant de la violence lors d’une rencontre sportive ».

Leur principal moyen d’expression étant leurs poings, ils s’en prennent régulièrement aux supporters adverses, ce qui oblige les autorités à réagir. La sécurité et la présence policière est renforcée, ce qui force alors les « hools » à s’affronter à l’écart des enceintes sportives, en ville notamment. Ce qui diffère entre cette violence et la violence que l’on connaissait auparavant, c’est qu’elle n’est pas due à un événement sportif précis. Elle est voulue, préméditée, et régulièrement, elle n’a aucun lien avec le match de football. Certains sociologues définissent le terme « hooliganisme » comme étant propre à de la violence organisée au préalable

À la fin des années 60, un nouveau modèle de supporterisme se développe en Italie. C’est la naissance du mouvement ultra… Ces supporters ont alors pour source d’inspiration les « kops » des hooligans anglais, mais veulent encourager leur équipe de manière différente, non axée sur la violence. Rapidement, ces groupes ultras italiens parviennent à innover, à se structurer, notamment en distribuant des cartes d’adhérents aux différents membres du groupe. Pour la première fois, les chants sont lancés par un meneur muni d’un micro ou d’un haut-parleur. Des drapeaux et des banderoles aux couleurs du club ou du groupe sont affichés. Des tifos, immenses chorégraphies humaines, sont déployés à l’entrée des joueurs, à l’aide de feuilles ou de voiles de grande taille.

Magic Fans during the Europa Legaue match between Saint-Etienne and La Gantoise at Stade Geoffroy-Guichard on November 28, 2019 in Saint-Etienne, France. (Photo by Romain Biard/Icon Sport)

C’est à cette période que des fumigènes commencent à être craqués dans l’enceinte des stades. Les noms choisis par les groupes illustrent généralement clairement leur fanatisme (ex : Brigade, Commando, Section, Collectif…). Nous différencions donc à cette période le modèle anglais, avec pour slogan « les émeutes oui, le football non », pour qui le football n’est qu’un prétexte et passe en seconde zone, du modèle italien, où le supporter ultra souhaite pousser son équipe, en étant avant tout organisé et fanatique. Ces supporters ultras souhaitent notamment garder leur indépendance vis-à-vis des clubs professionnels, que ce soit dans leur prise de décisions ou encore sur l’aspect financier. Ils ne souhaitent plus être uniquement spectateurs, mais cherchent à devenir acteurs à part entière du monde du football.

La qualité des tribunes devient également une compétition entre les clubs rivaux, cherchant toujours à faire mieux que leurs adversaires. C’est dans les années 80 que commencent à se détacher ces deux mouvements : Ultras et hooligans, qui commencent à se propager dans l’Europe entière.

c) L’inspiration des modèles anglais et italiens en France

Dans les années 70, avant l’émergence de ces mouvements en Europe, certains clubs français, comme l’AS Saint-Etienne, ont vu apparaître des supporters habillés aux couleurs du club, brandissant des écharpes et reprenant des chants en chœur dans les tribunes dites « virage » en raison de leur forme incurvée typique de nombreux stades français de l’époque.

C’est en revanche dans les années 80 seulement qu’apparaissent réellement en France les deux sortes de supporters vus précédemment. Quelques groupes hooligans voient le jour, notamment à Paris, au Parc des Princes, dans le Kop de la fameuse tribune Boulogne, qui fera par la suite beaucoup parler dans la presse et qui sera régulièrement visée par les autorités. Toutefois, cette mouvance hooligan reste peu répandue en France, notamment en raison du Drame du Heysel en 1985, où 30 supporters italiens de la Juventus perdent la vie à Bruxelles, suite à un mouvement de foule causé par une attaque des hooligans de Liverpool.

L’opinion publique s’est immédiatement emparée du terme hooligan et les autorités se sont occupées de ce problème dans l’Hexagone, sans pour autant parvenir à enrayer toutes les violences. En France, le modèle prédominant dès les années 1980 reste le mouvement ultra ayant comme but principal de pousser son équipe à la victoire. Les groupes ultras voient le jour essentiellement dans le sud de la France, avec notamment le Commando Ultra à Marseille, qui est créé dès 1984, la Brigade Sud à Nice ou les Ultramarines à Bordeaux en 1987. Ces groupes subissent dès leur naissance la confusion entre les termes ultras et hooligans. En raison du contexte et des actions violentes des hooligans parisiens « Boulogne Boys », les ultras sont eux aussi très mal vus par le grand public à cette époque.

Plusieurs décennies plus tard, le modèle du hooliganisme est toujours moins implanté en France que dans les pays voisins tels que la Belgique, l’Allemagne ou les Pays Bas. À contrario, le mouvement ultra se développe très rapidement à la fin du XXème siècle. Tous les clubs de football professionnels français ont aujourd’hui au moins un groupe ultra qui garnit ses tribunes les jours de matchs.

Ce sont en partie ces groupes qui animent les stades en y mettant l’ambiance, qu’elle soit positive ou plus mitigée. Les kops sont généralement remplis et aux couleurs du club ou du groupe qui l’habite. Les animations prennent de plus en plus d’ampleur, les ultras diversifient leurs activités les jours de matchs. Nicolas Hourcade estime que cet essor du supporterisme et du mouvement ultra en France s’explique par différentes raisons. « Le développement de grandes agglomérations, la résurgence des identités locales et régionales ou l’essor de la jeunesse comme classe d’âge autonome favorisent l’expansion du supporterisme ».

Les groupes ultras ont également évolué dans leur mentalité. Dans les années 1980, la majorité des groupes étaient à tendance extrême-droite. Aujourd’hui, bien que la xénophobie persiste dans certains groupes, la lutte contre le racisme prend également de la place dans l’idéologie de nombreuses associations. Au fil du temps, les groupes ont su s’organiser, afin de faire vivre la tribune un peu plus chaque année. Alors que les supporters ne se déplaçaient jamais pour les matchs à l’extérieur à l’époque, les groupes visitent les stades adverses chaque week-end aujourd’hui. Le supporterisme français qui était dans les années 70 bien moins développé qu’à l’étranger a su prendre de l’ampleur grâce à la structuration des ultras, leur forte activité et leur désir de pouvoir influer sur la vie du club.

Alors qu’elle était essentiellement réservée aux clubs du Sud aux prémices du mouvement en France, la culture ultra a su s’imposer dans le pays entier, même dans des zones comme Lens ou Saint-Etienne, aujourd’hui références en la matière, qui étaient à l’époque contre cette inspiration du mouvement italien et de ses codes. Depuis leur création, les groupes ont vu leurs rangs grossir.

Illustration during the Ligue 1 Uber Eats match between Saint-Etienne and Metz at Stade Geoffroy-Guichard on March 6, 2022 in Saint-Etienne, France. (Photo by Alexandre/Dimou/FEP/Icon Sport) - Photo by Icon sport

Le mouvement ultra a gagné en maturité au fil du temps suite à l’acquisition de compétences inspirées du modèle italien, mais également grâce à la baisse de méfiance de certains supporters qui n’hésitent désormais plus à participer aux animations des groupes. Autre preuve de l’évolution du mouvement depuis le début des années 80, les ultras n’étaient à l’époque pas bien informés de l’activité et des animations mises en place par les groupes rivaux. Il n’est aujourd’hui pas rare que des groupes s’envoient des fanzines, magazines illustrant leurs récentes animations, ce qui a permis notamment le lancement de divers médias, dont « Sup Mag », vendu en kiosque durant trois années et qui a permis au mouvement de se développer.

Jusque dans les années 70, la norme dans les tribunes était le « spectateur, qui a certes une préférence pour une équipe, mais qui exprime ses émotions avec modération et respecte globalement l’idéologie du fair-play ». Aujourd’hui, le supporterisme a pris le dessus.