Le football professionnel traverse une nouvelle période sombre. À l'heure de l'attribution des droits TV, les tensions s'accentuent puisque qu'aucun diffuseur ne répond aux attentes de Vincent Labrune. Christophe Bouchet, spécialiste du sujet, expliquait ce mercredi soir dans l'After Foot le contexte actuel. De quoi inquiéter...
Droits TV, une situation inquiétante
Gilbert Brisbois a tout d'abord introduit le sujet en expliquant la situation actuelle : "BeIN Sports n'y va pas. Et là, la banqueroute qui guette le football français se précise. Vincent Labrune a été prévenu aujourd'hui par BeIN Sports. Je vous explique les dessous de ce choix. C'est très simple. Canal+, pour avoir BeIN dans son bouquet en exclusivité, paye à BeIN 250 millions d'euros par an.
BeIN a répondu à la LFP "nous, on est prêts à mettre un gros chèque sur la Ligue 1, mais on veut que Canal Plus augmente ce qu'il nous donne pour avoir l'exclusivité, ce qui permettait à BeIN d'amortir un peu le chèque." Sauf que Canal a refusé ! "Nous on ne va pas nous faire payer de façon indirecte des droits qu'on ne veut déjà pas payer directement."
Vincent Labrune coupable dans l'attribution des droits TV ?
Christophe Bouchet précise : "Il n'y a pas un diffuseur pour le football français. Vincent Labrune a vendu du rêve à tous les présidents, il va peut-être falloir qu'il se réveille. Les présidents, quand on les contacte encore ces derniers jours, ils disent « Oh non, pas de soucis, on a confiance, ça va arriver ». J'ajoute à cette affaire que le propriétaire de BeIN, le Qatar, utilise maintenant des relais d'influence pour faire savoir que stop, on refuse d'être instrumentalisés. Les Qataris font savoir que l'émir du Qatar a des sujets un peu plus chauds sur sa table, un peu plus prioritaires que les droits de télé de la Ligue 1.
Vincent Labrune a réussi par extraordinaire à marabouter les présidents de club. Mais il n'a pas réussi à marabouter les diffuseurs. Il comptait marabouter les uns et les autres et en tirer le profit à crédit en faisant rentrer le fonds CVC. Il y a eu une première alerte il y a une dizaine de jours. C'est passé quasiment inaperçu, mais la Ligue a commencé à annoncer des signatures de contrats sur les droits internationaux avec des agences. Ce qu'ils voulaient dire en creux, c'est qu'elle n'avait pas signé avec BeIN. Pendant plusieurs mois, Vincent Labrune a stoppé tous les deals à l'étranger avec des agences, avec des plateformes satellitaires, etc., parce qu'il pensait que BeIN allait acheter la totalité des droits étrangers et les droits français. Il y a une dizaine de jours, on a bien senti que s'il commençait à vendre les droits à des agences, c'est qu'il y avait un loup. Ça, c'est la première chose."
La Ligue 1 n'attire plus
Christophe Bouchet sur les droits TV : "La deuxième chose, c'est le fond de l'affaire. Un, le produit Ligue 1 n'est plus un produit haut de gamme. Il y a 20 ans, les droits domestiques français étaient équivalents aux droits domestiques anglais. Sauf que pendant 20 ans, les présidents de clubs, ceux qui se sont fait marabouter, ils n'ont rien fait. Ils ont pris l'argent et ils n'ont tiré aucune conséquence. Les Anglais ont tiré toutes les conséquences de l'argent qu'ils avaient. Ils ont développé leurs produits. Ils ont créé de la valeur. Aujourd'hui, il y a quatre championnats qui ont de la valeur : l'Espagne, l'Allemagne et l'Angleterre. Deux commencent à souffrir, c'est l'Italie et la France.
La deuxième grille d'analyse, c'est qu'il y a une fâcherie avec Canal+. Vincent Labrune n'a pas réussi à inverser la colère de Canal+, depuis 2018. L'année où Canal+ a perdu. C'est historique. Canal+, avait inventé les droits au milieu des années 80, en était titulaire depuis le milieu des années 80, et en 2018, c'était un affront, Canal a perdu les droits. Mais ils s'en veulent énormément, ils ont perdu les droits.
La réaction des présidents à ce moment-là a été catastrophique. Ils ont voulu humilier Canal et Canal, racheté par Vincent Bolloré, ne l'a jamais accepté.
Et c'est Canal qui dicte la loi. Pourquoi ? Parce que Canal a une position double en France. C'est une chaîne de télévision que tout le monde connaît. Mais c'est aussi la plateforme de diffusion des autres chaînes et des autres plateformes.
Donc ce sont eux finalement qui mettent à disposition leurs fichiers pour que les autres plateformes puissent aller recueillir des abonnés. Ce qui veut dire que sans Canal+, vous ne pouvez rien lancer ni rien faire."
Une nouvelle chaîne pour le foot français ?
Christophe Bouchet sur les droits TV : "On en a parlé il y a un mois, et je vous avais dit qu'il y avait une chaîne dans les cartons. Certains avaient imaginé ce scénario. La chaîne est dans les cartons depuis plusieurs mois. Mais la chaîne pose un problème que vous allez comprendre assez vite. Il y a déjà eu l'expérimentation de la chaîne deux fois par deux fois. Frédéric Thierez l'avait lancé. Il a eu la très bonne idée de la lancer et la très mauvaise de la fermer. Parce qu'il aurait fallu la faire durer quelques années pour qu'elle gagne en maturité et en abonnés. Le vrai sujet de cette chaîne-là, c'est le sujet d'introduction, c'est que la Ligue 1 n'a plus de valeur. Vous pouvez toujours faire votre chaîne, mais vous la vendez à qui ?
Certes, les fournisseurs d'accès vont vous donner un petit peu d'argent, mais ils vont vous donner de l'argent en mesure de ce qu'ils vont toucher par leurs abonnés. Or, aujourd'hui, le réel problème, c'est combien il y a en France de personnes pour s'abonner à une chaîne Ligue 1 ? C'est un vrai sujet. Les choses ont changé. Il faut comprendre que le football n'est plus seul. Jusqu'aux années 2015, entre 2015 et 2020, le football était roi, le football était seul. Aujourd'hui, les familles ont devant elles une panoplie de possibilités pour se distraire. Le rugby a progressé, est devenu professionnel. Les clubs gagnent les Coupes d'Europe. Le niveau de jeu est intéressant. Évidemment, tout ça, ça change la donne. Le football n'est plus le football roi des années 2000. Ça, c'est le vrai sujet.
Une situation en passe de se débloquer ?
La Ligue de football a méprisé les dirigeants de Canal, les a laissés sur le côté, n'a pas voulu les entendre. Pour des raisons qui s'entendent, parce que, de leur côté, Canal voulait aussi un peu étrangler le football pour l'avoir à sa main et à son prix. Et donc, à un moment, les choses se sont déchirées. Ce qui est très important dans le dispositif, c'est que les Qataris ne sont pas disposés pour la télévision. Je pense que c'est une décision gouvernementale. Ils ont décidé de ne pas perdre d'argent sur le produit télévision. BeIN est géré comme une entreprise occidentale. Il est demandé à Bean d'avoir des résultats équilibrés.
Or, le football aujourd'hui, il vaut entre 4 et 600 millions, je ne sais pas exactement où ça se trouve. Il vaut par le nombre d'abonnés qui sont prêts à payer entre 15 et 20 euros par mois pendant un an. [...] La situation va se débloquer, mais elle va se débloquer à bas prix.