Durant cette trêve internationale, nous vous proposons un hors-série sur le métier de scout dans le football. Isaac Kitambala, scout indépendant, nous raconte son quotidien et sa vision du métier dans une interview exclusive.
Un parcours atypique
Mon parcours est un peu atypique. Dans un premier temps, j’ai baigné dans le foot en tant que joueur. J'ai fait ma formation au centre de formation de l'ESTAC. Pour le clin d'œil, je suis de la génération 1992 et nous avions à l'époque été éliminés par l'ASSE en Gambardella. C’était l'équipe de Idriss Saadi, Pierre-Yves Polomat, Jessim Mahaya and co.
Après le centre j'ai basculé à Beauvais pendant 2 saisons avant de rapidement jouer en région parisienne au milieu amateur. Finalement, dans la foulée, j'ai passé mes diplômes et l'opportunité du recrutement est venue à moi. Je développe désormais mon activité depuis 6 années. Je me qualifie de consultant indépendant du football. Il m'arrive de travailler avec de nombreux corps de métier du football comme des agents, des directeurs sportifs, des entraîneurs, des clubs...
Une aventure de directeur sportif en Gambie
J'ai travaillé dans différentes zones géographiques. Mon aventure a commencé en région parisienne afin de s'élargir à l'hexagone mais aussi en Afrique. J'ai travaillé en Gambie, ils ont un projet à bâtir mais très enrichissant.
Le projet était avec Yaya Manneh, un coach local. C’était un de mes coachs adjoint en Gambie que j’ai recruté et qui aujourd’hui est coach adjoint de la sélection U20 gambienne. J’ai été mis directeur sportif en Gambie car j’ai ramené les investisseurs pour racheter le club. Une expérience enrichissante de 18 mois stoppée par le COVID. J'avais un réseau sur place et j'ai accepté une opportunité d'exercer dans ce pays. L'idée du club était de valoriser des jeunes joueurs. Le projet consistait à recruter le coach, le staff technique, gérer un budget, signer les contrats, donner la politique sportive ETC.
Malheureusement il a fallu revenir vite en France lors du confinement et après travailler à distance ça a été compliqué. Durant cette aventure, j'ai fréquenté et recruté des joueurs qui ont fini finalistes de la coupe d'Afrique des nations U20 jouée au début du mois.
Comment gérer le quotidien de scout indépendant ?
Il y a une partie commerciale. Ensuite, il y a une nécessité d'utiliser son réseau quand tu es indépendant. Je suis sur un autre système que le fonctionnement salarial où tu représentes une structure. Dans mon cas, je dois aller chercher des revenus et donc je dois aller chercher des bénéfices de mon activité. Il me faut du flair et de la réflexion. Ça me passionne, c'est stimulant mais aussi stressant. Et avec tout ça, tu ambitionnes !
Une volonté de partager
J'ai créé un blog (voir ici) pour rendre accessible des informations sur le métier de scout et plus globalement sur le recrutement. De nombreuses personnes sont intéressées par ce domaine mais cela reste souvent flou. De ce fait, j'écris des articles et effectue des vidéos chaque jour pour un public passionné de scoutisme et qui veut en savoir plus.
J'ai eu la chance de connaître le très haut niveau comme le niveau amateur et j'ai envie de partager. Je mets en place des accompagnements individuels en les orientant dans leurs envies de scoutisme. On fait des séances, des cours d'apprentissages et du coaching à distance. Je transmets mon savoir car j'ai cette volonté de partager !
Comment être crédible comme recruteur ?
Tout d'abord, la majorité de mes connaissances sont tirées de mon parcours de joueur. J'ai appris beaucoup sur le terrain et par l'échange avec les gens du milieu. Aussi, la documentation est une nécessité pour évoluer et se renouveler.
J'ai deux diplômes véritablement en lien avec ce métier. Tout d'abord, une licence Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives. Toutefois, je ne dirais pas que c'est un diplôme qui me crédibilise. Je l’ai passé car je souhaitais avoir une meilleure connaissance de l’organisation sportive dans sa globalité. Aussi, ça m’a donné un autre regard ! Mon second diplôme, c'est le BEF (brevet d'entraîneur de football) pour augmenter mes connaissances footballistiques. Ma carrière de joueur ne suffisait pas à me crédibiliser, du moins pas plus qu'un autre. J'ai voulu aller plus loin.
J'ai passé le BEF non pas pour coacher mais pour me certifier que je pouvais parler football et être légitime pour cela. Je suis recruteur, c'est bien mais ça ne me légitimait pas. Ma carrière de joueurs aurait pu suffire mais je voulais aller plus m’auto-crédibiliser. Ce qui pouvait donner du sens à mon travail, c'était ce diplôme et cette reconnaissance !
Une recrudescence de scout amateur
Sur les réseaux sociaux, j'ai constaté que de nombreuses personnes s'initient au scoutisme. Il y a des rapports, des analyses technico-tactiques, des mises en avant de certains profils de joueurs etc.
Par le biais de mon travail, je peux aider et orienter ses personnes si elles ont de l'ambition dans le métier. Avant tout, je veux leur faire savoir qu'ainsi, il ne se distinguerait pas. Dans un premier temps, il vaut mieux maîtriser ce que les gens n'ont pas encore maîtrisé. Il faut aller où il y a moins de lumière (formation, championnat amateurs etc). C'est simplement ensuite qu'il est possible de monter et aller chercher le monde professionnel.
Par exemple, exposer son travail sur les réseaux sociaux, ce n'est pas crédible à mon avis aux yeux des clubs. Il y a pas mal de clubs qui prennent de haut ce genre de travaux et c'est rare qu'un novice intègre une cellule de recrutement pour l'équipe pro. En Allemagne, il y a des directeurs sportifs qui sont rentrés en tant que stagiaires. Tout ça pour dire que tu peux rentrer par la petite porte et grandir doucement pour ensuite avoir un poste important.
Le quotidien d'un scout
Quand tu travailles sur le marché français, tu organises tes matchs et il faut avoir une feuille de route. Un scout, il doit optimiser ses déplacements. Il faut faire un week-end où tu vois le maximum de matchs possibles. Si tu peux le commencer le vendredi et tu le finis le dimanche soir, c'est bénéfique.
Par exemple, quand je venais à Saint-Étienne, je venais voir les U15 à 13h puis les U16 à 15h et j'enchaînais à Lyon pour voir les U19 et la réserve. Il est nécessaire de rentabiliser les déplacements pour voir le maximum de match possible. Tu peux ajouter des matchs de L1, L2 etc. Cela fait à mon sens parti de la maîtrise d'un marché.
"Il y a des mariages qui ne marchent pas"
Quelle est l'importance de l'extrasportif ? À mon sens, on ne peut pas passer à côté de ça. L'une des clefs pour moi est de connaître le club et l'environnement dans lequel tu travailles. L'identité du club et les gens qui y travaillent sont primordiaux pour influencer tes choix de recrutement. Ces données te permettent d'éviter la marge d'erreur. Tu peux ensuite mettre en balance les éléments pour voir s'ils sont compatibles. Il y a des mariages qui ne marchent pas.
"Les clubs ne savent pas gérer les joueurs de caractère"
Il faut trouver une juste balance entre bon comportement et talent. Il ne faut pas perdre de vue que les clubs cherchent des joueurs performants et non pas des futurs médecins. Du coup il y a un juste milieu à trouver et ne pas être trop dans un excès de trouver le joueur trop lisse.
Les clubs qui ont peur de recruter du caractère c'est parce qu'ils ne savent pas gérer. Ils ont peur de gérer donc il évite. Il faut savoir gérer l'égo et il y a des clubs qui fuient ça. Par exemple, un joueur qui a évolué à Saint-Étienne : Yannis Salibur. À son arrivée au LOSC, il y a eu un choc culturel. Il était incroyable comme joueur à mon sens du même niveau d'Eden Hazard mais ça n'a pas marché aussi bien que cela aurait dû.
La problématique dans le football, c'est que beaucoup sont des spécialistes du football et oublient comment les gens fonctionnent. Le côté humain. Du coup, la différence fait peur et certains la fuient. Aussi je pense que souvent ça manque d'adaptation culturelle... et on ne tire donc pas le meilleur de nos joueurs !
Pour en savoir davantage sur le travail d'Isaac Kitambala, recruteur indépendant professionnel, je vous invite à lire son travail sur son blog. Il y évoque notamment plusieurs problématiques comme "Comment identifier les profils du haut niveau ?" ou encore "Quels sont les critères d'observations chez les jeunes et les professionnels ?".