Place désormais aux dix meilleurs joueurs de l’histoire de l’ASSE. Ceux qui occupent une place spéciale au firmament du club. Ils ont marqué une époque, une génération. Ils ont pris part à la légende et permis à ce que les Verts soient encore aujourd’hui à part dans le cœur des Français. Voici le portrait du 7e : Ignace Tax (258 matchs, 110 buts de 1935 à 1945).

Un joueur de classe internationale à l'ASSE

En 1935, Pierre Guichard, le président de l’ASSE frappe un grand coup sur le marché des transferts. Il parvient à obtenir la signature d’une authentique vedette autrichienne, milieu de terrain à vocation offensive : Ignace Tax. Le 4 juillet, il débarque à Saint-Etienne fort d’une carte de visite impressionnante. Il a été champion d’Autriche avec Vienne, champion de Suisse avec le Servette de Genève et membre à part entière de la sélection nationale d’Autriche surnommé la « Wunderteam ». On dit qu’elle a été la meilleure équipe du monde au début des années 1930.

Il s’intègre parfaitement à son nouvel environnement et forme avec Yvan Beck un duo redoutable. Il marque vingt buts pour sa première saison stéphanoise, dix-sept la saison suivante, des années qu’il survole littéralement. Il faut dire que l’ASSE est en deuxième division et le futur naturalisé Français (après l’Anschluss de mars 1938) aurait sa place dans n’importe quelle équipe de l’élite. Il est tout simplement le joueur qui a fait la meilleure impression aux supporters de l’époque qui en restent ébahis. Il participe activement à la montée des Verts en Première division en 1938 et est encore le chef de file de la formation stéphanoise qui termine à la quatrième place lors de sa première saison en D1.

Meilleur buteur avec vingt buts lors de ce premier exercice parmi l’élite, il est le héros d’un des premiers exploits de l’ASSE. Il inscrit l’unique but de la victoire à Geoffroy-Guichard contre l’Olympique de Marseille, le vainqueur de la Coupe de France, le 6 novembre 1938 (1-0).
L’AS Saint-Etienne commence à être prise au sérieux. Pire, elle fait peur. Comme tous ses coéquipiers, il est prêt pour les batailles futures pour lesquelles tous les espoirs sont permis.

Mobilisé pendant la Seconde Guerre mondiale

Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale va mettre un frein à toutes les ambitions et la plupart des joueurs sont mobilisés sur le front confronté à ce qu’on appelle la « drôle de guerre ». L’armistice est signé rapidement, mais Ignace Tax n’en a pas fini avec les ennuis. Il fait partie des prisonniers retenus par les Allemands comme 5 éléments de l’ASSE. Son compagnon de captivité en Belgique n’est autre que le joueur hongrois, naturalisé français, de Saint-Etienne, Ferenc Odry. L’un portait le numéro 7546 l’autre le 7547. D’autres stéphanois, Roger Rolhion, Gaston Gardet, Michel Brusseaux, Joseph Biechert subissent donc le même sort. Il ne sera libéré qu’en 1942-43 et sera accueilli comme Ferenc Odry par Jean Varraud.

Il retourne à Saint-Etienne pour y retrouver une activité normale sauf que le gouvernement de Vichy, par l’intermédiaire du colonel Pascot, a décidé de mettre fin au professionnalisme tout en garantissant l’avenir des joueurs de métier. C’est le retour aux valeurs de l’amateurisme qui met fin au règne des clubs de football. Sont créées pour l’occasion des équipes qui représentent des provinces ayant pour nom, par exemple, Nancy-Lorraine, Reims-Champagne, Paris-Île-de-France. Dans ce cadre, tous les professionnels de Saint-Etienne sont reversés dans celle de Lyon-Lyonnais. Un comble !

Pierre Guichard fait tout pour contrecarrer les plans du colonel Pascot en sollicitant toutes les volontés politiques du département. Il demande l’appui notamment du maire de Saint-Etienne et d’Antoine Pinay, maire de Saint-Chamond qui essaient d’intervenir en sa faveur. Sans réussite. Pour éviter leur transfert, Pierre Guichard fait passer Ignace Tax, Jean Snella, Jean Lauer et Arsène Casy pour des employés de Casino, mais la supercherie est rapidement découverte. Les quatre joueurs sont tout simplement radiés à vie. Heureusement, la Libération arrive rapidement pour mettre fin à cette mascarade et lever ces sanctions ridicules.

Un Entraîneur Charismatique à l'ASSE

La carrière d’Ignace Tax à Saint-Etienne aurait pu se terminer ainsi en queue de poisson, mais les dirigeants stéphanois ont décelé dans sa personnalité un réel talent d’éducateur. Ils lui ont proposé de prendre la succession d’Emile Cabannes au poste d’entraîneur de l’équipe première bien que les conditions ne soient pas des plus favorables pour maintenir un véritable esprit de compétition.

Pendant toutes ces années d’occupation, le football existe en pointillés dans le Forez. Essayant tant bien que mal de se frayer un passage entre les arrestations, l’esprit de Résistance qui s’amplifie jour après jour et les risques de bombardements, d’ailleurs de plus en plus souvent à l’initiative des alliés.

À l’instar d’Emile Cabannes, Ignace Tax doit parer au plus pressé dans un club que Pierre Guichard a quitté, démissionnaire, retenu par ses obligations professionnelles.

Compte tenu des moyens dont il dispose, il est difficile de juger des résultats de Tax qui fait ce qu’il peut. Néanmoins, même si on ne le sait pas encore, il profite de cette période pour poser des jalons qui offriront des garanties insoupçonnées lorsque la situation redeviendra normale.
On peut signaler qu’il parvient, lors de la saison 1943-44, à hisser son groupe jusqu’aux huitièmes de finale de la Coupe de France. Battu seulement par le futur vainqueur Nancy-Lorraine (1-2) qui comptait de nombreux joueurs ex-professionnels dans ses rangs. Et dire que, selon de nombreux observateurs, l’ASSE n’aurait jamais dû perdre ce match qu’elle a dominé dans son ensemble. Le tour précédent, elle avait réussi à éliminer le Stade de Reims (redevenu amateur comme elle) 6-2 après prolongations contre un adversaire où figurait un jeune joueur qui s’appelait Robert Jonquet. On allait bientôt reparler de lui en équipe de France, mais surtout d'Albert Batteux qui allait laisser un souvenir impérissable à Saint-Etienne dans les années 1960.

Vice-champion de France en 1946

Ignace Tax connaîtra son heure de gloire tout de suite après la Libération. Un nouveau championnat de France est mis sur pied et tous les cadors d’avant-guerre (Lille, Reims, Marseille…) ont, bien entendu, répondu présent. Avec un effectif en partie remodelé, mais qui compte dans ses rangs la présence de René Alpsteg et Antoine Cuissard, deux perles rares, l’entraîneur autrichien peut étaler tout son savoir-faire.

Rapidement, les Verts prennent la tête du classement allant même jusqu’à compter quatre points d’avance sur ses poursuivants immédiats. Malheureusement, le 1ᵉʳ mai 1946, lors de la rencontre au sommet, Lille tape du poing sur la table en infligeant une terrible correction à l’ASSE. Humiliés 8-0 dans le Nord, les hommes de Tax redescendent sur terre et ne se relèveront jamais tout à fait de cette cuisante défaite. Toutefois, ils parviendront à sauver leur seconde place, réalisant ainsi un résultat inespéré et complètement inattendu.

Les saisons suivantes ne seront pas aussi exaltantes. Il faut dire que l’ASSE est confrontée année après année à des problèmes financiers qui deviendront carrément insolubles en 1950. Le coach fait ce qu’il peut, mais sans moyens, il ne peut pas faire de miracle. Le président, M. Perroudon, malade, lâche peu à peu prise. C’est Eugène Cognet, vice-président et ancien président des supporters, qui tente de sauver ce qui peut l’être. Du côté du terrain, l’entraîneur semble également peu à peu perdre la foi et la confiance de ses joueurs.
Le retour providentiel de Pierre Guichard le 20 juillet 1950 à la tête du club sonnera la fin de la mission d’Ignace Tax, mais Dieu qu’elle fut belle en cette période contrastée où aucune difficulté ne lui sera épargnée. Il laissera à son successeur, qui n’est autre que Jean Snella, une culture et une force de caractère dont ce dernier s’inspirera abondamment.

L’image d’Ignace Tax est restée intacte. Joueur extraordinaire, considéré comme l’un des meilleurs des années 1930-40, entraîneur émérite qui a offert aux spectateurs stéphanois ses premiers frissons. Il aura contribué par son abnégation, dans une période où la pratique du football n’était pas aussi simple, à garder l’AS Saint-Etienne sur les rails au moins au niveau du terrain. Le reste n’était pas de son ressort et nul doute qu’avec des circonstances plus favorables, il aurait pu obtenir des résultats bien plus spectaculaires.