Place désormais aux dix meilleurs joueurs de l’histoire de l’ASSE. Ceux qui occupent une place spéciale au firmament du club. Ils ont marqué une époque, une génération. Ils ont pris part à la légende et permis à ce que les Verts soient encore aujourd’hui à part dans le cœur des Français. Voici le portrait du 10e : Jean-Michel Larqué (402 matches, 101 buts de 1966 à 1977)
Un footballeur avec une tête bien faite
Jean-Michel Larqué est né le 8 septembre 1947 à Bizanos, une bourgade de 3 600 habitants, en plein cœur du sud-ouest de la France. Le pays où le ballon ovale est roi. Toutefois chez les Larqué, on privilégie le football. Le père, Jean, était un joueur passionné comme deux de ses frères et trois beaux-frères composant ainsi à eux seuls la moitié de l’équipe. Jean-Michel a donc tout naturellement suivi cette voie. Très tôt, il se destine au professorat d’éducation physique et longtemps, son cœur balancera entre un métier « sûr » et l’aventure risquée du professionnalisme.
En effet, on a découvert chez lui de réelles prédispositions à la pratique du ballon rond qu’une victoire dans le concours du jeune footballeur en 1964 a confirmé. Pierre Garonnaire, fureteur invétéré, l’arrache à Bordeaux, destination logique pour un gars doué du sud-ouest, et il signe à l'ASSE. Ce choix, férocement contesté par les Girondins, lui vaut une suspension de six mois infligée par les instances nationales. Qu’importe, avec les autres stagiaires qui l’entourent (Hervé Revelli, Georges Bereta ou Francis Camerini), il peut s’intégrer tranquillement parmi les Mitoraj, Jacquet, Herbin et Mekloufi qui l’accueillent à bras ouverts. Il effectue sa première apparition le 27 mars 1966 à Nantes sous la houlette de Jean Jean Snella impressionné par son aisance technique. Positionné à l’aile droite, il tient honorablement son poste malgré une lourde défaite chez le champion de France en titre, impitoyable avec le néophyte (0-5).
Ses débuts dans la fournaise de Marcel Saupin sont à l’image de sa carrière naissante qui pâtie de son hésitation entre le professorat et le football. Bien que régulièrement titularisé à partir de 1966-67 (il participe à 21 matches de championnat cette saison-là), il n’explose pas comme son talent aurait pu le laisser supposer. Il doit se rendre à l’évidence, en voulant courir deux lièvres à la fois, il peut risquer de tout perdre. Après avoir mûrement réfléchi, il opte pour le professionnalisme qui semble lui offrir les garanties qu’il souhaite. Cette attitude démontre une force de caractère qui est déjà une de ses marques de fabrique car quand Jean-Michel Larqué a décidé quelque chose, il va jusqu’au bout de ses convictions, ce qui peut parfois créer quelques frictions notamment avec la direction.
Un homme de caractère chez les Verts
Avec Roger Rocher, autre homme de caractère, les occasions de conflit ne manquaient pas et la première est survenue en 1968. Avec Albert Batteux, le milieu de terrain stéphanois est devenu un membre indispensable du groupe même s’il n’est pas un titulaire indiscutable. Cela suffit à le faire remarquer. Il est sélectionné dans les équipes nationales de jeunes et devient un des fers de lance de sa génération matérialisé par le capitanat attribué lorsqu’il évoluait avec l’équipe de France juniors. Or, de par son âge, Jean-Michel peut être appelé pour disputer les JO de Mexico qui se déroulent à l’automne 1968. Cette date n’arrange pas l’ASSE qui joue son premier tour de Coupe d’Europe contre le Celtic Glasgow à la même période. Roger Rocher hausse le ton en vue d’empêcher son joueur de se rendre à cette manifestation. Pas impressionné, Jean-Michel Larqué, avec l’appui de la fédération française de football, passe outre l’interdiction formulée par son président, et répond favorablement à la convocation.
Rocher doit s’incliner et se rendre à l’évidence : Jean-Michel Larqué n’est pas un garçon que l’on peut amadouer facilement. C’est un homme à part dans le monde du football professionnel car outre ses qualités techniques indéniables, il dispose également d’une tête bien faite et bien accrochée sur ses épaules. Sa progression est peut-être lente mais elle est régulière. A partir de la saison 1969-70, il s’épanoui au sein de l’attaque stéphanoise qu’il dirige d’une main de maître. Naturellement, il devient international le 10 septembre 1969 à Oslo contre la Norvège, une sélection qu’il confirme un an plus tard le 7 octobre 1970 à Vienne contre l’Autriche. Il pourrait alors, égoïstement mais logiquement, se consacrer à sa carrière individuelle et ne soucier que de sa propre personne (attitude tellement humaine). Ce n’est pas dans sa nature, terriblement entière et posée.
Il accepte dès 1971, alors qu’il triomphe sur les terrains de France et de Navarre, de s’occuper d’une petite équipe de la banlieue stéphanoise, l’Etrat. Il remplace quasiment au pied levé, Manuel Fernandez, ex joueur de l’ASSE qui vient de décéder d’un accident de voiture. Il s’adonne à fond dans sa nouvelle tâche et sous sa conduite, cette formation amateur monte de deux divisions. Ces résultats prouvent déjà que Jean-Michel Larqué est avant tout un meneur d’homme et que sous ses airs de premier de la classe, il cache bien son jeu. C’est un véritable leader qui a trouvé dans le football de quoi assouvir sa passion qu’il transmet à son entourage à travers sa détermination. Elle est tout aussi communicative avec les professionnels qu’avec les amateurs.
Dès le début des années 70 se dessine une mentalité de gagneur qui sera l’un de ses atouts tout au long de son parcours professionnel. Elle lui a été très utile car il a eu beaucoup de mal à convaincre les sceptiques sur sa valeur. Heureusement, à Saint-Etienne, tous les entraîneurs successifs lui ont accordé leur confiance que ce soit Jean Snella qui l’a lancé, Albert Batteux qui l’a fait énormément progresser ou Robert Herbin qui en a fait une de ses pièces maîtresses. A l’extérieur, on est plus circonspect car on lui reproche un manque de combativité et de la lenteur dans ses gestes. Ces critiques expliquent en partie qu’il ne se soit jamais véritablement imposé en Equipe de France avec laquelle il ne compte en tout et pour tout que quatorze sélections.
Le patron de l'ASSE de 76
Avec l’ASSE, il en va tout autrement. Jean-Michel Larqué va se forger un palmarès longtemps inégalé : 7 titres de champion de France, 3 coupes de France, une finale et une demi-finale de Coupe d’Europe des Clubs champions.
Nommé capitaine de l’équipe après le départ de Georges Bereta, il en devient le symbole car tout ce qu’il a obtenu a été gagné à la sueur de son front et à la suite d’un travail acharné accompli à l’entraînement. Ce n’est pas un hasard si ses nouvelles responsabilités endossées en ce début d’année 1975 correspondent avec l’âge d’or de l’ASSE. En effet, l’ascension de l’un a favorisé celle de l’autre car Larqué a été une locomotive sur laquelle Robert Herbin s’est longtemps appuyé les yeux fermés. En obtenant une confiance quasi aveugle de la part de son entraîneur, il s’est totalement libéré au point de se sentir investi d’une mission quasi mystique : amener son équipe au sommet de l’Olympe et l’y maintenir. Il a pu alors donner sans retenue le meilleur de lui-même sans arrière-pensée, en toute sérénité.
Jean-Michel Larqué devient l’incontestable leader technique capable de rassembler toute une équipe autour de lui malgré les origines différentes et par delà les générations. Il crée une union sacrée entre les anciens qu’il représente et les jeunes formés au club qui ont pris le pouvoir. Les uns font partager leur expérience accumulée, les autres leur spontanéité et leur prise de risque incessante.
En outre, il a été capable d’apporter une touche supplémentaire en étant décisif dans les matches importants de son club. Il marque le premier but contre l’Hajduk Split à Geoffroy-Guichard et permet à son équipe de forcer le destin en novembre 1974. Il réduit le score en Pologne, à Ruch Chorzow en mars 1975, alors que l’ASSE est menée 3-0 à une demi-heure de la fin du match. Les Verts s’inclinent finalement 3-2 et se qualifient pour les demi-finales de la Coupe d’Europe des Clubs champions en l’emportant 2-0 au retour.
Il enthousiasme le public stéphanois à l’occasion du match au sommet contre Marseille le 3 mai 1975. Il récupère le ballon dans son camp, effectue une course de 50 mètres, se débarrasse comme à la parade du meilleur défenseur français en la personne de Marius Trésor et d’un tir de 20 mètres en pleine lucarne, il crucifie le pauvre gardien olympien. L’ASSE humilie l’OM (4-1) et file vers un nouveau titre de champion de France.
Et que dire du deuxième but qui a scellé le résultat de la finale de la Coupe de France 1975 face à Lens. Il est l’auteur d’une reprise de volée qui est passée à la postérité et qui est encore considéré aujourd’hui comme le plus beau but de l’histoire des finales. Grâce à cette victoire 2-0, il peut soulever son premier trophée remporté en tant que capitaine des Verts.
C’est encore lui qui d’un coup franc bien frappé autorise son équipe à disputer les prolongations contre le Dynamo Kiev en mars 1976. C’est toujours lui qui inscrit le seul but des deux confrontations contre le PSV Eindhoven qui envoie l’AS Saint-Etienne en finale de la Coupe des champions en 1976. Pendant cette période, il connaît un véritable état de grâce que seul vient ternir la défaite en finale de la Coupe des Champions, où il n’a pas réellement su tenir son rang.
Une brutale fin de carrière mais une reconversion réussie
Toutefois, cet état s’achève brutalement un soir de mars 1977 à Anfield Road où il est emporté par les vagues reds qui le laissent sur le bord du rivage. Ce match perdu face à Liverpool a lézardé une solidarité de façade qui l’avait unie avec son entraîneur. De réelles divergences de vues ont alors éclaté entre Robert Herbin et la capitaine stéphanois provoquant progressivement sa mise à l’écart. Il est laissé à la disposition de l’équipe réserve à partir du mois de mai 1977 n’étant même pas sélectionné pour les demi-finales et la finale de la coupe de France qui se joue sans lui.
S’il en profite pour remporter le championnat de France de 3e division, il ne peut évidemment se satisfaire de cette situation. N’étant plus retenu à l'ASSE, il accepte la proposition du PSG où il devient à vingt-neuf ans l’un des plus jeunes entraîneurs de première division. Cette expérience où il cumule les deux fonctions, coach et joueur, tourne court et il peut alors entamer sa véritable reconversion, celle de consultant sportif.
Il forme avec Thierry Roland un duo de commentateur reconnu et respecté. En même temps, il devient rédacteur en chef du Mensuel Onze-Mondial qu’il dirige avec la même efficacité que celle dont il a fait preuve à Saint-Etienne. Sa nouvelle carrière aurait pu être un sans-faute s’il n’avait pas abîmé son image en acceptant le poste de directeur sportif de l’ASSE en 1993-94.
Directeur Sportif de l'ASSE
Croyant être appuyé par de solides partenaires, il a monté une équipe compétitive à coup de transferts onéreux mais qui a mis du temps à exprimer son potentiel. Au bout de cette unique saison, lâché de toute part et notamment par la famille Casino (Pierre Guichard a du se retourner dans sa tombe devant le gâchis orchestré par son fils), il a également jeté l’éponge. Le formidable communicant qu’il est devenu n’a pas su gérer sa sortie et il a endossé un réel sentiment de frustration auprès du jeune public stéphanois qui n’a pas connu ses exploits sportifs. Elle s’est d’autant plus intensifiée que le club a fini en deuxième division miné de l’intérieur et plombé par le déficit qui l’a longtemps interdit de recrutement.
Néanmoins, ce dernier épisode ne saurait faire oublier le formidable joueur qu’il a été pendant cette fabuleuse aventure qui a porté l’ASSE au firmament du football français. Capitaine charismatique, leader incontournable, il a écrit une des plus belles pages, sinon la plus belle, de l’histoire du football stéphanois. Aujourd’hui encore, Jean-Michel Larqué garde un œil attentif sur le club de son cœur et il espère comme tous les supporters que l’ASSE retrouve un jour la place qu’il n’aurait jamais dû quitter, la première.