La présentation des cinquante meilleurs joueurs de l’histoire de l’ASSE continue. Après vous avoir exposé les portraits des joueurs situés de la 21ᵉ à la 50ᵉ place par ordre alphabétique, nous vous révélons désormais ceux qui sont situés de la 20ᵉ à la première place. Cette fois-ci, ils seront publiés dans l’ordre décroissant. Après le 12ᵉ, Vladimir Durkovic, place au 11ᵉ ! IVAN Curkovic (383 matches, de 1962 à 1981), Un gardien de but devenu un Mythe.
Ivan Curkovic, une référence en Yougoslavie
Ivan Curkovic est né le 15 mars 1944 à Mostar (Bosnie). Quoique modestes, ses parents lui ont donné une éducation axée sur les valeurs humaines et l’importance du mot travail. Alors qu’Ivan semble destiné à devenir joueur de football professionnel en tant que gardien de but (il signe son premier contrat le 15 mars 1960 au Velez Mostar le jour de ses 16 ans) son père exigera qu’il termine ses études d’architecture. Ce dernier lui procure également un emploi d’été dans la bâtiment. Le jeune homme se retrouve employé dans la construction du futur stade où il évoluera en tant que titulaire.
Après des débuts remarqués lors de la saison 1960-61 (il joue dix rencontres successives), il doit céder sa place à son remplaçant plus expérimenté. Cette rétrogradation aurait pu le déstabiliser. Elle lui a surtout permis de repartir de l’avant. En avril 1961, il rentre à la mi-temps du match contre le Partizan Belgrade. Les critiques élogieuses de la presse malgré la défaite le consacrent alors définitivement. Sa progression est constante. D’abord international junior, il est sélectionné dans la grande équipe de la Yougoslavie puis pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. À cette occasion, il rencontre la Hongrie, futur vainqueur de l’épreuve où évolue un dénommé Palotaï, qu’il retrouvera en 1976, un certain 12 mai.
Cette même année, il est transféré au Partizan Belgrade où il est en concurrence avec Milutin Soskic, cinquante fois international. Ce qui ne l’empêche pas d’être régulièrement titularisé. Malheureusement, il n’est que remplaçant lors de la finale de la coupe des Champions 1966 perdue contre le Real Madrid alors même qu’il est sélectionné pour la Yougoslavie la semaine suivante contre la Tchécoslovaquie. Après le départ de Soskic pour Cologne, il devient le titulaire à part entière et bénéficie de l’arrivée de Stjepan Bobek, un entraîneur monumental. Avec Anta Skovic, entraîneur des gardiens, il façonne un goal répondant aux exigences du football moderne. Curkovic devient alors un joueur complet. Une sorte de premier arrière de la défense, qui devient une référence dans son pays jusqu’à ses vingt-huit ans, où il peut alors proposer ses services à l’étranger comme le règlement le lui permet.
Un transfert à l'ASSE
Plusieurs clubs, et non des moindres, sont intéressés pour recruter un élément aussi expérimenté. Le Sporting Lisbonne, Hanovre, Brême, le Herta Berlin ont entrepris des démarches. Bastia a semblé le plus avancé dans les négociations car le Partizan avait déjà signé un protocole d’accord pour un prochain transfert de Curkovic sur l’île de Beauté. Puis, l'ASSE s’est manifestée par l’intermédiaire de Pierre Garonnaire.
De son côté, Ivan doit résoudre plusieurs dilemmes avant d’accepter de s’expatrier. Le premier, et non des moindres, est de dire adieu à toute sélection nationale et la possibilité de jouer une coupe du monde alors qu’en 1971, il est au sommet de son art. Le deuxième est de refuser le contrat en or que lui propose le Partizan. Une offre qui n’avait jamais été faite auparavant pour un gardien de but. Le troisième est de pouvoir choisir sa destination alors que tous les clubs lui proposent à peu près des conditions similaires.
Finalement son choix se portera sur l'ASSE. Conseillé par son ami Vladimir Durkovic qui lui a vanté les mérites des Verts plutôt que Bastia qui a eu l’outrecuidance de négocier avec un autre gardien yougoslave, Pantelic. Curkovic apprécie les attentions stéphanoises, notamment après sa blessure, une fracture de la mâchoire, qui aurait pu rebuter pas mal de candidats.
Ivan Curkovic débarque à Saint-Etienne le 18 juin 1972 et il faut croire qu’à cette époque l’ASSE avait vraiment des soucis pour accueillir ses nouveaux joueurs. Comme pour Salif Keita ou Oswaldo Piazza, il n’y avait personne pour l’attendre à son atterrissage. Il ne retrouve ses partenaires que le lendemain et part immédiatement en stage où il fait chambre commune avec Aimé Jacquet qui le prend sous son aile. C’est d’ailleurs ce dernier qui est chargé de lui annoncer, trois jours après son arrivée, alors que le Yougoslave ne parle pas un mot de français, l’assassinat de Durkovic abattu par un policier ivre en Suisse.
À l’occasion de son premier match amical contre les Suédois d’Avitaberg, l’ASSE l’emporte 3-2. Curkovic arrête même un penalty, mais manifestement son entente avec la défense stéphanoise qui pratique un marquage de zone, tactique qu’il n’apprécie guère, n’est pas parfaite. Au point de susciter un commentaire peu élogieux de la part de Roger Rocher qui adresse à Pierre Garonnaire un laconique « alors c’est ça Curkovic ? ».
Le gardien de but de l'Epopée des Verts
Pour travailler au plus vite ses automatismes et s’intégrer avec son équipe, Curkovic s’oblige à apprendre vingt nouveaux mots de français par jour. Ce qu’il ne sait pas exprimer oralement, il le traduit à l’aide de croquis qui lui permettent de mieux se faire comprendre de ses partenaires. Rapidement, il démontre une volonté à toute épreuve et un caractère en acier trempé. Il attire alors tous les suffrages car en bourreau de travail, il s’astreint à des séances d’entraînement herculéennes.
Il devient naturellement un des principaux relais d’un nouvel entraîneur, Robert Herbin, qui débute dans la fonction. Il contribue par son implication et sa motivation à fabriquer cette équipe qui, après une première saison 1972-73 de transition, commence à faire sa loi en France. En 1974, l’ASSE remporte le premier titre de champion de France accompagné par une victoire en Coupe de France qui lance les Verts vers la légende.
Grâce à la coupe d’Europe et notamment à l’épopée 76, Curkovic dépasse ses illustres prédécesseurs qui ont gardé les buts stéphanois comme Claude Abbes ou Georges Carnus pour ne citer qu’eux. Sa prestation en demi-finale de la coupe des champions à Eindhoven le fait même accéder au rang de mythe. Ce soir-là, il est sur un nuage, littéralement invulnérable. À lui tout seul, il écœure les Hollandais qui se heurteront à un mur. Son duel avec Edstrom, le géant suédois, a tourné court lorsqu’il l’a percuté sur une sortie aérienne. Geste intentionnel ? Il s’en défend encore aujourd’hui mais cela a bien arrangé les choses.
C’est son apothéose car en finale, il ne pourra rien contre le tir assassin de Roth mettant fin à une si belle aventure. Pendant quatre ans encore jusqu’en 1980, il est l’inamovible gardien des Verts, ne laissant que des miettes à ses remplaçants. Mais les années passants, son influence devient moins prépondérante, les bonnes prestations moins régulières. Il est notamment lobé sur sa ligne à Liverpool en tout début de rencontre en 1977. En 1979, un but à Strasbourg qu’il a toujours contesté lui fait jeter son brassard de capitaine. Il encaisse un but gag contre l’Aris Salonique quelques semaines plus tard.
Jean Castaneda, son successeur à l'ASSE
Son début de saison 1980-81 est difficile et après trois journées, Robert Herbin doit prendre la décision de le remplacer par son successeur désigné, Jean Castaneda. Ce dernier, qui a été dans l’ombre de la légende, a pu bénéficier de tous les conseils prodigués par son mentor pendant de nombreuses années. Le Yougoslave peut ainsi lui transmettre le flambeau, certain que le jeune Stéphanois sera digne de lui succéder.
Curkovic met ainsi fin à sa carrière sur un dernier titre de champion de France. Il reste toutefois dans l’encadrement technique du club à la demande de Roger Rocher pour lequel il est un conseiller aux missions relativement floues. Le président envisage un temps de le nommer directeur sportif avec des prérogatives rognant sur les responsabilités de Herbin et de Garonnaire. L’affaire de la caisse noire met un terme à ce projet et Curkovic, allié de Rocher, est également inquiété par la justice.
Par la suite, il retourne dans son pays où il devient le président du Partizan Belgrade. Il est également conseiller à la FIFA et membre du comité national olympique de la Serbie. Il est même consul des Seychelles.
Le 5 avril 2005 à Belgrade, il reçoit des mains de son ex-partenaire, Michel Platini, la légion d’honneur devant une délégation des anciens joueurs de l’AS Saint-Etienne qui se sont déplacés tout spécialement pour l’occasion. Un point d’orgue pour une carrière exceptionnelle qui totalise un championnat de Yougoslavie (1965), quatre championnats de France (1974, 1975, 1976, 1981), trois coupes de France (1974, 1975, 1977) et dix sélections avec l’équipe de Yougoslavie. Rien que ça !
L’AS Saint-Etienne a connu de très grands gardiens, mais aucun n’a dépassé cette légende qui reste encore aujourd’hui la référence au sein de la maison verte. Évidemment, sa place parmi les cinquante meilleurs joueurs de l’histoire de l’ASSE ne souffre d’aucune contestation, tout comme son rang d’ambassadeur à vie au sein du club.