À l’occasion des 90 ans de l’AS Saint-Etienne, le site Peuple-vert vous propose le portrait des 50 meilleurs joueurs de l’ASSE parmi les 775 qui, depuis 1933, ont un jour porté le maillot Vert. De la place 50 à 21, les joueurs classés seront présentés par ordre alphabétique.

EUGÈNE N’JO LEA
(158 matches, 93 buts de 1954 à 1959)

LA PREMIÈRE PANTHÈRE NOIRE DE SAINT-ETIENNE

Eugène N’Jo Lea naît à Batuchi au Cameroun sur les rives du fleuve Wouri le 15 juillet 1931. Il obtient son BEPC en 1951 au Collège Moderne de Nkongsamba. Il veut poursuivre ses études et grâce à une bourse académique, il décide de se rendre en France.

Il quitte son petit club de football, Vent Lalanne, dans lequel il sévissait et atterrit à Roanne. Il devient étudiant en même temps qu’il continue à tâter de la balle dans un club local. Pour une raison que l’on ignore, il est renvoyé du Lycée qu’il fréquentait en compagnie de deux autres élèves Africains.

L’ASSE, par l’intermédiaire de Pierre Garonnaire qui l’avait repéré, profite de l’occasion pour l’engager et se porte garante pour lui lorsqu’il s’inscrit dans une nouvelle école sur Saint-Etienne.

Pourtant, sa signature ayant été quelque peu forcée par les événements (les Verts n’ayant pas prévu de l’incorporer si tôt), ils se retrouvent avec trop de mutations dans leur effectif. Ils prêtent le Camerounais à un club de la banlieue stéphanoise, Roche-La-Molière. Ses débuts y sont époustouflants puisqu’il inscrit onze des douze buts de son équipe lors de son premier match avec ses nouveaux partenaires.

Il peut, à la fin de la saison, intégrer l’effectif professionnel de l’ASSE où il est promis à un brillant avenir au poste d’avant-centre. Toutefois, ses excellents débuts (il marque un doublé dès son premier match officiel en D1 le 12 septembre 1954 contre Toulouse) n’aurait pu être qu’un feu de paille.

Il ne convainc pas totalement Jean Snella sceptique quant à l’implication de son attaquant. En effet, est-ce son côté lymphatique où le fait qu’il privilégiait autant les études que le football ? Toujours est-il qu’au début de la saison 1955-56, il joue plus souvent avec l’équipe réserve qu’avec les professionnels.

La presse locale s’en émeut, elle qui a été subjuguée par la souplesse, la force et la détente du Camerounais. Elle affirme même que si Jean Snella ne le fait pas jouer c’est pour montrer aux journalistes que c’est lui qui commande.

Heureusement, tout rentre rapidement dans l’ordre et il retrouve sa place à la pointe de l’attaque. Il peut alors donner sa pleine mesure et justifier son nom, car en dialecte camerounais de Douala, N’Jo Lea signifie « panthère ».

La légende est en marche. Accompagné par ses compères Rachid Mekloufi et Kees Rijvers, ils forment la première triplette d’envergure du club. Certains n’hésitant pas à considérer qu’il n’y a jamais eu d’équivalent dans l’histoire de l’AS Saint-Etienne.

C’est tout simplement l’attaque « mitraillette » ou l’attaque « Rock n’ Roll », comme l’ont surnommé les médias, qui est à la base du premier titre de champion de France des Verts en 1957.

Le duo N’Jo Lea-Mekloufi inscrit à lui seul 54 des 88 buts de sa formation cette année-là. Le Camerounais a même réussi l’exploit de marquer au moins un but pendant onze journées consécutives (17 au total) terminant troisième meilleur buteur de la compétition avec 29 réalisations. L’année suivante, il devient le premier avant-centre de l’histoire européenne du club contre les Glasgow Rangers.

UNE TÊTE BIEN FAITE

N’Jo Lea atteint alors son apogée même s’il conduit l’escouade offensive stéphanoise pendant deux ans encore jusqu’en 1959 inscrivant au total 93 buts toutes compétitions confondues.

Conjointement, il a continué ses études qui l’ont mené jusqu’à l’université de Lyon où il apprend le droit. Pour ne plus avoir à effectuer les fatigants va-et-vient entre le Forez et le Rhône, il demande alors son transfert à l’Olympique Lyonnais.

Il devient donc le premier joueur à endosser les deux maillots différents. Après son diplôme d’Études Supérieures, il termine sa carrière au Racing Paris où il signe en 1961.

Cette même année, il entre en relation avec Just Fontaine et l’avocat Jacques Bertrand et ils créent ensemble le 16 novembre 1961 le premier syndicat de joueur, l’UNFP (L’Union Nationale des Joueurs Professionnels).

Il met un terme à ses activités sportives en 1963 à 32 ans non sans avoir auparavant réalisé son rêve de jouer contre son idole, le roi Pelé, à l’occasion d’un match de Gala.

Avec la création de l’UNFP, sa carrière juridique est lancée. Après avoir parfait sa formation aux États-Unis, il intègre naturellement le monde politique au Cameroun. Il travaille pour plusieurs ambassades étrangères où il remplit les fonctions de consul, notamment en France et en Espagne.

Il se démène également pour installer le professionnalisme sur le continent africain, d’abord au Sénégal puis dans son propre pays. Il se heurte à ce moment-là à une forte opposition qui ne cessera jamais de lui mettre des bâtons dans les roues.

Le coup bas le plus mesquin a consisté à ne jamais sélectionner son fils, William joueur méritant qui a également suivi ses traces, dans l’équipe nationale du Cameroun.

Peu à peu, il est oublié de tous et il s’éteint à la suite d’une longue maladie le 23 octobre 2006 à l’âge de 75 ans dans une indifférence scandaleuse et honteuse de la part des autorités camerounaises.

Heureusement, la minute de silence organisée à Geoffroy Guichard lors du match de Coupe de la Ligue, le 25 octobre 2006 contre Marseille, a démontré, à juste titre, qu’il était resté dans les mémoires stéphanoises. Il mérite de figurer au panthéon des 50 meilleurs joueurs ayant porté le maillot Vert.

 

By Albert Pilia