ROGER ROCHER, LE PRESIDENT VISIONNAIRE
À l’occasion de l’anniversaire de sa mort survenu le 29 mars 1997, retour sur l’un des personnages les plus marquants de l’histoire de l’AS Saint-Etienne. Roger Rocher a permis aux Verts de se maintenir tout en haut de la hiérarchie nationale pendant deux décennies.
Visionnaire, leader charismatique, il a bâti un club à son image, fier de ses valeurs issues des profondeurs de la terre et respectueux de la parole donnée. Il s’est investi corps et âme au point de ne faire plus qu’un avec l’ASSE qu’il a épousé pour le meilleur et pour le pire.
HISTOIRE D’UNE LEGENDE
Roger Rocher est né à Champlost dans l’Yonne le 6 février 1920 mais il a passé toute sa jeunesse dans le quartier de l’Eparre à Saint-Étienne. Il y côtoie les mineurs qu’il rejoint en juillet 1937 alors qu’il n’a que 17 ans. Alors qu’il est prédestiné à prendre la succession de son père, Gaston Rocher qui exploite une carrière, il doit d’abord apprendre l’école de la vie et des hommes qu’il sera peut-être amené à commander. C’est le temps des amitiés solides, de la solidarité et de la débrouillardise.
Pendant dix ans, il est un des témoins de toute une génération qui vit au rythme des crassiers et des coups durs qui traversent leur quotidien. Plus d’une fois, il voit un de ses camarades tomber, victime du charbon et il a peur comme les autres de ne jamais remonter vers la lumière. Cela forge un caractère.
Il n’oubliera jamais ces hommes qui, malgré leurs conditions de travail, ne cesseront jamais de parler de leur métier avec fierté et conviction. Ils sont vingt mille à descendre sous terre liés comme les cinq doigts de la main car le moindre écart signifie la mort de l’un des leurs. À cette époque, il rencontre Germaine, sa future femme qu’il épouse le 31 mai 1941 et qui lui a donné cinq enfants de 1942 à 1948. Elle lui sera toujours fidèle, éternellement à ses côtés même lors des moments les plus pénibles de la vie de son mari.
En 1945, il devient co-gérant de la société Rocher Père et fils créée spécialement pour l’occasion et en 1946, avec son frère Claude, ils créent la SFTP, Société Forézienne de Travaux Publics car au sortir de la guerre tout est à reconstruire. Ils mènent de front les deux activités jusqu’en 1951 où ils se consacrent entièrement à la SFTP qui a prospéré.
Au même moment, Roger Rocher s’engage dans le sport en créant l’Association Sportive des Petites Mines qui fusionne en 1947 avec le Football Club Franco Espagnol pour devenir l’Olympique de Saint-Étienne. Il en est le premier président apprenant sur le tas pendant toutes ces années le métier de dirigeant sportif n’hésitant pas à mettre la main à la pâte quand il le fallait à la force du poignet et du poing si nécessaire. Ses efforts sont éloquents et remarqués par le quotidien sportif « L’Equipe » qui lui décerne la distinction de « Meilleur Patron sportif de France » en 1957.
1957 est une année faste puisque Pierre Faurand, président de l’ASSE, fait appel aux services de l’entreprise de Roger Rocher pour moderniser le stade Geoffroy Guichard. En deux mois, il construit des gradins debout en remblai côté nord et sud du stade.
Impressionné par ses qualités, Pierre Faurand le fait admettre au comité directeur du club où il prend rapidement des responsabilités. Là encore, son influence grandit au point de se voir attribuer la commission sportive et d’être nommé vice-président en 1960.
Revenu aux affaires en 1959-60, Pierre Guichard veut prendre du recul et il propose son fauteuil à Roger Rocher qui, flatté, ne peut décemment refuser. Il est donc élu le 17 avril 1961 président de l’Association sportive de Saint-Étienne à l’unanimité moins deux voix, celle d’Alex Fontanilles, son concurrent, et la sienne.
Il reste sans discontinuer à la tête de l’ASSE jusqu’en 1982 où il obtient un palmarès sans égal : 9 titres de champion de France, 6 coupes de France et une finale de Coupe des champions en 1976.
UN REGNE DE 21 ANS
Le règne de Roger Rocher peut être découpé en quatre périodes bien distinctes.
La première s’étale de 1961 à 1964. C’est le temps de l’apprentissage et de la prise en main de son club. Il est aidé dans sa nouvelle tâche par Pierre Faurand, vice-président, dont les conseils sont précieux et surtout par Charles Paret qui fait des miracles à la direction administrative. Pourtant, au niveau sportif, les débuts sont difficiles, sanctionnés en 1962 par une 17e place en championnat de France de première division et un retour à l’échelon inférieur pour la première fois depuis 1938. Il envisage alors de démissionner mais il reçoit le soutien opportun de Pierre Guichard. Rassuré, il repart au combat, en profite dans la foulée pour remporter sa première coupe de France, l’ASSE devenant ainsi la première équipe à gagner cette compétition l’année de sa descente en D2.
La remontée est une formalité pour les troupes de Roger Rocher qui a choisi de conserver les mêmes joueurs et a réussi à faire revenir le génial Rachid Mekloufi qui s’était exilé suite aux conséquences de la guerre d’Algérie. En 1963, le Président réalise son premier coup d’éclat en obtenant un autre retour, celui de l’entraîneur mythique Jean Snella qui officiait au Servette de Genève. Sous sa conduite, les Verts deviennent pour la deuxième fois de leur histoire champions de France l’année même de leur réintégration en 1ere division, un exploit que seul Bordeaux avait réalisé jusque-là.
La deuxième époque (1964-1970) est celle de la confirmation. Roger Rocher met tout en œuvre pour pérenniser définitivement le club au plus haut niveau. Il le modernise en le dotant d’infrastructure adaptée aux contraintes du professionnalisme. Le stade Geoffroy Guichard appartient désormais à la ville qui exécute les travaux nécessaires (éclairage, augmentation de la capacité…). Une équipe médicale avec un suivi personnalisé des joueurs est mise en place, une première en France. Surtout, grâce au travail de Pierre Garonnaire, qui depuis 1967 est un salarié à part entière du club, le centre de formation de l’ASSE voit le jour. Les stagiaires sont logés en ville par l’ASSE dans des appartements achetés ou loués par ses soins. Les résultats ne se font pas attendre.
Saint-Étienne redevient champion de France en 1967, une suprématie qui ne se démentira pas malgré le départ de Snella cette même année car il est remplacé par un autre grand entraîneur, Albert Batteux qui ajoute trois autres titres, ce qui en fait quatre consécutivement (1967, 1968, 1969, 1970) et deux Coupes de France (1968, 1970) dont une victoire extraordinaire 5-0 contre Nantes, qui reste encore à ce jour le plus gros écart jamais réalisé lors d’une finale.
La troisième époque est celle de la consécration (1970-1976). Pourtant, cette période avait mal commencé. Le contrat à temps fait son apparition alors qu’auparavant, les joueurs étaient liés à leur club jusqu’à l’âge de 35 ans. Il fait des ravages dans les rangs de l’ASSE qui subit coup sur coup l’affaire Bosquier-Carnus qui met fin à l’espoir de remporter un cinquième titre consécutif qui lui tendait les bras et celle de Salif Keita un an plus tard pour les mêmes raisons. À chaque fois, l’Olympique de Marseille est arrivé à lui subtiliser ces joueurs que le président stéphanois aurait bien aimé conserver.
L’intransigeance de Roger Rocher qui n’aura pas voulu céder d’un pouce, en homme de la vieille école, aura peut-être coûté des trophées supplémentaires mais elle a tout de même un effet bénéfique. Elle le force à changer son fusil d’épaule, à faire confiance à un nouvel entraîneur, le jeune Robert Herbin et à lancer une nouvelle génération de joueurs.
Pour éviter toute mauvaise surprise, il leur fait signer un contrat de sept et huit ans afin de travailler dans la durée. Toutefois, le Président ne se lance pas dans l’inconnue. Il inaugure en 1972 un tout nouveau bâtiment administratif qui réunit en un seul lieu, Geoffroy Guichard, tous éléments de la future réussite européenne de l’ASSE.
Car si jusque-là, les Verts étaient capables d’exploits sur la scène continentale comme cette qualification 3-0 face au Bayern Munich en 1969, ils restaient sans lendemain. Au contraire, sous la conduite de leur jeune entraîneur, les Verts, constitués de joueurs formés au club encadrés par deux guerriers, Yvan Curkovic et Osvaldo Piazza, remportent trois championnats de France consécutifs (1974, 1975, 1976) et ils font des étincelles en Coupe d’Europe.
En effet, ils réalisent une première performance en 1975 en atteignant les demi-finales de la Coupe des Champions avec un notamment un exploit magnifique face à l’Hajduk Split où ils réussissent à remonter un écart de trois buts concédés au match aller, (1-4 et 5-1). L’ASSE fait encore mieux l’année suivante en ne s’inclinant qu’en finale face au Bayern Munich et ses maudits poteaux carrés. Malgré la défaite, les troupes de Roger Rocher, avec son président à leur tête, défilent le lendemain sur les Champs-Elysées devant plus de 100 000 personnes et sont reçus par le président de la République, Valery Giscard d’Estaing. C’est l’apothéose.
Nous ne nous attarderons pas sur la quatrième époque qui va de 1977 à 1982 car malgré une Coupe de France (1977) et un titre de champion de France (1981), elle sera marquée par sa chute qu’une sombre histoire de caisse noire, dans laquelle il ne sort pas grandi, rendra inéluctable. Incarcéré en 1983 pendant quatre mois, elle n’en sera que plus cruelle.
Toutefois, elle ne saurait faire oublier tout ce que Roger Rocher a apporté à l’ASSE et comme il pourra le constater lors de son jubilé le 13 septembre 1992, le peuple stéphanois ne lui en tiendra jamais rigueur. Bien au contraire ! Il figure évidemment au panthéon des hommes les plus importants de l’histoire de l’AS Saint-Étienne qu’il aura conduit au firmament, tout là-haut, à force de courage et de ténacité.
Il s’éteint des suites d’une longue maladie à l’Hôpital Nord de Saint-Étienne le 29 mars 1997 et nul doute qu’il occupe une place de choix aux côtés des Pierre Guichard ou encore Jean Snella qui l’auront accueilli avec bienveillance.
Article rédigé par Albert Pilia