HENRI POINT, L’HOMME DE L’OMBRE A LA BASE DE LA NAISSANCE DE L’AS SAINT-ETIENNE

Le 10 février 1934 étaient célébrés les obsèques d’une des personnalités les plus importantes de la création de l’ASSE, celui que beaucoup de stéphanois ne connaissent que parce qu’il a laissé son nom à une des tribunes du stade Geoffroy-Guichard dont il a favorisé la construction.

Voici le portrait d’Henri Point, un homme de l’ombre, tombé injustement dans l’oubli.

UN CONSEILLER TRES APPRECIE PAR GEOFFROY-GUICHARD, LE PATRON DE CASINO

Pierre Guichard, fondateur de l’AS Saint-Etienne, décide, pour se faire la main et parce qu’il aime le sport, de s’investir personnellement dans la gestion de la section sportive de Casino (société de magasins créée par son père) mise en place à destination des salariés de l’enseigne. Les responsables, des cadres de l’entreprise, le sollicitent ainsi pour prendre la présidence de l’association. Le patriarche, Geoffroy Guichard, encourage cette initiative en pensant comme l’a souligné malicieusement son fils plus tard que celui-ci « en s’occupant de sport, irait moins au bal ».

Pour l’aider dans sa tâche, le jeune président (il a à peine plus de vingt ans) constitue une équipe dirigeante dont il pioche les membres dans sa propre entreprise. Parmi ceux-ci, Henri Point, un collaborateur, pas tellement plus âgé que lui (il est né en 1900), sort rapidement du lot. Il fait profiter de son expérience à son tout jeune patron, prêt à l’écouter et à favoriser les initiatives visant à améliorer le statut de son club. Salarié qui a démontré ses compétences, Henri Point est le directeur des ventes au sein de la société Casino. Fort de son statut privilégié, il met son savoir au service de l’Amical Sporting Club, nom de cette nouvelle structure, afin qu’elle perde rapidement son aspect corporatif, devenue l’Association Sportive Stéphanoise en 1928.

Toutefois, ce cadre influent de l’entreprise familiale, un conseiller proche de Geoffroy Guichard, préfère le rugby au football. Il favorise dès lors le rapprochement avec le Stade Forézien Universitaire (SFU) qui dispose d’une bonne équipe de rugby. Il ne faut pas oublier qu’historiquement, le jeu à 15 est le premier sport collectif pratiqué à Saint-Etienne et ce dès 1892, la première équipe de football n’étant créée qu’en 1906.

Rapidement, les infrastructures sportives dédiées à l’association deviennent dépassées. Le terrain du Pont-de-l’Âne, où se situe aujourd’hui le Géant Casino de Saint-Etienne Monthieu, parait de plus en plus petit. L’idée de trouver un autre point de chute commence donc à faire son chemin. Toutefois, les résultats sportifs, notamment de la section football, ne justifient pas le lancement d’investissements conséquents permettant la création de nouvelles installations.

En effet, l’équipe de Pierre Guichard se situe loin derrière sa rivale stéphanoise, le Saint-Etienne Sporting Club et elle ne soutient pas la comparaison avec le CO Saint-Chamond, la référence de l’époque, formation phare de la région, qui truste les titres en division d’honneur du Lyonnais.

Par contre, l’équipe de Rugby obtient des résultats encourageants et dès lors, Henri Point peut persuader Geoffroy Guichard qu’elle est promise à un bel avenir à condition de disposer des installations adéquates. Ce dernier est, semble-t-il, convaincu et il donne son accord à son collaborateur pour trouver un lieu plus approprié.

LE STADE GEOFFROY GUICHARD, LE PROJET PORTE PAR HENRI POINT

Justement, la famille Rochetaillée, une riche famille terrienne de la région, est disposée à vendre une parcelle de 38 000 m2 au nord-est de Saint-Etienne sur la route de Saint-Héand, situé à l’Etivallière entre l’aciérie, l’usine à gaz et la rue de la Tour. L’endroit est apprécié même si les hautes cheminées aux alentours, déversent une épaisse fumée ocre qui pourrait s’avérer gênante.

Pressé par son fils et par Henri Point qui voient là une occasion unique, Geoffroy Guichard se rend acquéreur de ce terrain qu’il rétrocède pour une somme dérisoire (loyer d’un franc symbolique annuel sur une durée de trente ans) à l’Association sportive Stéphanoise. Cependant, la trésorerie encore chancelante du club n’est pas à même de soutenir l’effort financier important permettant la construction d’un stade que les dirigeants veulent remarquable pour la région.

Pour récolter les fonds nécessaires, une société anonyme « Les Amis du Sport » est créée le 10 août 1930, chargée de lancer une souscription publique. C’est un succès et en quelques semaines, 600 000 francs sont recueillis, apportés en grande partie pat la bourgeoisie locale, pour financer ce projet alors que le retour sur investissement n’est pas assuré.

D’ailleurs, Pierre Guichard, par la suite, avouera avec fierté « quand la guerre a été déclarée, tous les souscripteurs ont retrouvé leur argent ». Henri Point peut s’estimer satisfait, l’œuvre qu’il a initiée par son sens de la persuasion, peut enfin voir le jour et plus encore, en raison de la somme récoltée, les rêves les plus ambitieux deviennent réalité.

Lors de l’inauguration du stade Geoffroy-Guichard, le 13 septembre 1931, Henri Point peut alors constater, en présence du ministre chargé des sports, de nombreuses personnalités régionales et la totalité du conseil municipal de Saint-Etienne, que son projet n’était pas aussi irréaliste que les pessimistes auraient pu le supposer. Comme tout le staff stéphanois, il peut se lancer dans l’aventure du professionnalisme et c’est bien naturellement qu’il intègre le premier comité directeur du nouveau club de football crée en 1933, l’AS Saint-Etienne, qui démarre sa carrière en deuxième division le 3 septembre 1933.

Dans cette structure naissante où il occupe le poste de vice-président, véritable bras droit de Pierre Guichard, il est au four et au moulin, ne laissant rien au hasard. Pendant six mois, il est la cheville ouvrière de l’ASSE, veillant aux moindres détails administratifs. Sa voiture sert même à ramener les retardataires ou à accompagner les blessés à l’hôpital si nécessaire.

Malheureusement, il décède en début d’année 1934, victime d’une maladie foudroyante, sa disparition laissant un vide béant qui ne sera pas véritablement comblé. Il est inhumé dans le caveau familial à La Panissières en présence d’une foule nombreuse et Pierre Guichard lui rend un hommage appuyé.

En souvenir de son implication, la nouvelle tribune de 1500 places dont 800 couvertes, construite en 1938, porte son nom, témoin de son importance capitale dans la naissance de l’ASSE. Malgré les différentes modifications opérées au stade Geoffroy-Guichard, son nom n’a jamais été changé !

Article rédigé par Albert Pilia