DEUXIEME CHAPITRE : UNE CARRIERE D’ENTRAÎNEUR EXCEPTIONNEL

DES IDEES REVOLUTIONNAIRES

Robert Herbin a accepté la proposition de devenir entraîneur de l’AS Saint-Etienne en posant toutefois une condition essentielle. Il veut travailler avec le groupe actuel complété par les jeunes du centre de formation qui viennent de remporter la Coupe Gambardella en 1970 (Christian Lopez, Alain Merchadier, Pierre Repellini, Patrick Revelli, Jacques Santini, Christian Synaeghel). Les espoirs seront encadrés par les anciens comme Georges Bereta, Gerard Farison ou encore Jean-Michel Larqué qui apporteront toute leur expérience pour les amener jusqu’au plus haut niveau.

Si l’entraîneur s’est inspiré de ces glorieux prédécesseurs (Jean Snella et Albert Batteux), il a copié le modèle hollandais dont l’Ajax Amsterdam était alors le chef de file, en imposant une dimension physique. Il instaure l’entraînement bi-quotidien (quasi inconnu à cette époque en France) et multiplie les exercices visant à l’épanouissement du groupe, seule entité valable à ses yeux.

Ses deux objectifs étaient simples mais non dénués d’ambition : imposer le dépassement de soi en vue de prendre l’ascendant lors des matches et privilégier le collectif au détriment des individualités car le football est avant tout un jeu d’équipe.

Malgré toute sa bonne volonté, Herbin doit se rendre à l’évidence. Il lui manque deux éléments de valeurs en défense pour bonifier son groupe. Il lui faut un gardien de but et un défenseur central. Pierre Garonnaire, avec qui il travaille en toute confiance, lui trouve deux étrangers (parce que le marché français est inabordable), Yvan Curkovic et Osvaldo Piazza. Avec ses deux renforts, l’entraîneur est ainsi paré pour commencer la saison 1972-73.

Cette première année a été un exercice de transition. D’éclatantes victoires ont succédé à des revers sanglants. Herbin a eu notamment un épineux problème à régler ne parvenant pas dans un premier temps à trouver un bloc défensif efficace. Il a essayé Aimé Jacquet au poste de libéro, Lopez, Piazza, Santini et tenté de donner à Merchadier, Piazza ou encore à Repellini le rôle de stoppeur sans résultat.

Il n’arrivait pas à trouver l’association complémentaire qui arriverait à stabiliser son arrière-garde. Au soir d’une terrible défaite à Nancy (0-4) le 18 mars 1973, il a enfin trouvé la bonne formule et il a pu l’annoncer fièrement à des journalistes médusés par un commentaire qui en a surpris plus d’un : « Je suis très satisfait de ce que je viens de voir. Je crois que l’équipe fera parler d’elle la saison prochaine ! ». En effet, il s’est alors rendu compte que la paire Lopez-Piazza était l’association idéale en défense et la quatrième place obtenue en championnat en fin de saison, l’a amplement démontré.

L’éclosion de Dominique Bathenay, lors de la saison 1973-74, au poste de milieu défensif a fini d’asseoir ce secteur. Le retour d’Hervé Revelli, dont les talents de buteurs ne sont plus à démontrer, a donné une puissance offensive supplémentaire, qui a permis à l’ASSE de se lancer à l’assaut du championnat de France. Et deux ans seulement après la prise de fonction de Robert Herbin, Saint-Etienne remporte le titre en finissant en apothéose sur un 6-1 face à Nîmes lui assurant le trophée à deux journées de la fin. Mais ce n’est pas tout.

Les Verts gagnent également la Coupe de France en disposant de Monaco (2-1) faisant taire tous les sceptiques qui pensaient que Robert Herbin était trop jeune pour être entraîneur ou qui ont émis des doutes appuyés sur ses méthodes. Désormais nantis de certitudes inébranlables puisque ayant été confirmés par des résultats éclatants, l’ASSE peut se mesurer à ce qui se fait de mieux en Europe.

A LA CONQUETE DE L’EUROPE

Pour le public et les médias, l’année 1974-75 doit être celle de la confirmation mais depuis la reprise du championnat, les Verts sont incapables de s’imposer à l’extérieur où s’enchaînent les désillusions. Le premier tour de la Coupe d’Europe contre le Sporting Lisbonne arrive ainsi à grands pas laissant craindre le pire. Peut-être subissent-ils le contre-coup des séances d’entraînement herculéennes imposées par Herbin pour préparer ses joueurs aux durs combats continentaux.

Et alors qu’on les donnait perdants, ils ont réalisé un match plein contre les Portugais remporté 2-0 à Geoffroy-Guichard. La saison de l’ASSE est lancée et ils obtiennent un nul plein de promesses au match retour (1-1). Le meilleur reste cependant à venir. Alors que les Verts semblaient sur la bonne voie, ils s’écroulent à Split, laminés par les Yougoslaves de l’Hajduk (1-4) au deuxième tour aller, humiliés par un arbitrage tellement complaisant de la part du Turc Babacan qu’ils en écument de rage.

Herbin va utiliser cette colère à bon escient pour guider ses hommes vers l’exploit qui semble impossible. Dès lors, le 6 novembre 1974 restera comme une date historique pour le club car en se qualifiant 5-1 après prolongations grâce aux deux buts d’Yves Triantafilos, Saint-Etienne a fait une entrée fracassante dans l’Europe du football. Cet exploit inespéré a marqué les débuts de l’épopée stéphanoise qui n’a donc tenu qu’à un fil. L’ASSE a redonné des couleurs au football français qui était auparavant timoré et complexé. Et surtout, alors que les performances des différents clubs de l’hexagone étaient épisodiques, les Verts se sont hissés jusqu’en demi-finale de la Coupe d’Europe des clubs champions après s’être débarrassés des Polonais Ruch Chorzow. Ils ne seront battus que par les futurs vainqueurs de la compétition, les Allemands du Bayern de Munich.

Pour regoûter  au parfum de la Coupe d’Europe, les Verts doivent de nouveau remporter le championnat ce qu’ils font de manière encore plus aisée. Jean-Michel Larqué se permet même de demander à Robert Herbin de participer au dernier match de la saison à Geoffroy Guichard contre Troyes. Et cerise sur le gâteau, Roby marque le dernier but de son équipe sur penalty pour une victoire nette et sans bavure (5-1). Quel cadeau de la part des élèves à leur professeur ! Saint-Etienne termine en apothéose en réussissant le doublé pour la deuxième année consécutive, performance jamais réalisée jusqu’alors.

Place à la saison 1975-76 sur laquelle tout a été déjà écrit et terminée par la finale à Glasgow ainsi qu’un troisième titre de champion de France. On ne le sait pas encore mais les Verts viennent de vivre leurs plus belles années. Une élimination prématurée par  Liverpool lors de la campagne européenne suivante va conduire Roger Rocher à changer de stratégie et abandonner la politique de formation interne qui avait eu de si bons résultats. Le triumvirat Rocher-Garonnaire-Herbin va alors se désagréger entraînant, malgré un dixième titre de champion en 1981, la démission forcée du président en 1982 et le licenciement de l’entraîneur en 1983.

Depuis l’AS Saint-Etienne est à la poursuite de son lustre d’antan. Si Robert Herbin est revenu aux manettes en 1987 après de courtes expériences à Lyon, Strasbourg et l’Arabie Saoudite, ses résultats seront moins enthousiasmants malgré une 4e place en championnat en 1988 (qui reste cependant la meilleure performance depuis 1982, seulement égalé en 2014 et 2019) et une demi-finale de Coupe de France en 1990 qui lui sera fatale puisqu’il sera limogé par le président André Laurent au lendemain de la défaite contre Montpellier (0-1).

Une dernière tentative lors de la saison 1997-98 associé à Pierre Repellini se soldera carrément par un échec, les Verts évitant de peu la rétrogradation en National. Évidemment, cela ne saurait faire oublier l’incroyable palmarès que Robert Herbin s’est forgé à Saint-Etienne au point d’avoir été pendant longtemps le professionnel (joueur et entraîneur) français le plus titré de l’histoire du football.

En tant que joueur, il a participé à 492 matches avec les Verts et il a remporté 6 championnats de France (1964, 1967, 1968, 1969, 1970, 1975), 3 coupes de France (1962, 1968, 1970), 3 challenges des champions (1962, 1967, 1969). Il a dirigé 637 matches en tant qu’entraîneur de l’ASSE et il a complété son palmarès avec 4 championnats de France (1974, 1975, 1976, 1981), 3 coupes de France (1974, 1975, 1977). Il a été élu entraîneur de l’année par France Football en 1973 et 1976.

Cette légende s’est éteinte le 27 avril 2020 des suites de problèmes cardiaques et en septembre 2021, le complexe sportif de l’Etrat porte son nom.

Retrouvez des reportages sur la carrière de Robert Herbin en partenariat avec l’excellent site ASSE Memories