Retour de notre rubrique historique avec Albert Pilia à la baguette. Nous sommes le 19 janvier 1964. Dernier match de René Domingo : une légende.

 Le 19 janvier 1964, le Valenciennois Bolek Kocik blesse gravement René Domingo (double fracture de la jambe) qui met un terme à la carrière d’un des joueurs les plus emblématique de l’histoire de l’AS Saint-Etienne. S’il ne fallait retenir qu’un seul stéphanois ayant porté un jour le brassard de capitaine de l’ASSE, René Domingo recueillerait, à n’en pas douter, tous les suffrages.

UNE CARRIERE DANS UN SEUL CLUB : L’AS SAINT-ETIENNE

René Domingo est né le 28 décembre 1928 à Sourcieux-les-Mines (Rhône) mais il passe toute sa jeunesse en Auvergne où il commence à jouer au football dans un bon club de la région, La Combelle. En 1949, Monsieur Saulnier (typographe de l’ASSE et autrefois bon joueur du CO Saint-Chamond notamment) repère deux jeunes prometteurs, Domingo et Ferenc Koczur Ferry évoluant lors d'un match de sélection junior dans un quartier de Saint-Etienne, au Soleil, puis au cours d’un match de la Coupe nationale UFOLEP au stade de Solaure, autre enceinte sportive stéphanoise.

Gabriel Perroudon, président de l’AS Saint-Etienne, donne son accord pour engager les deux footballeurs et prendre de vitesse la concurrence. Si Ferry accepte rapidement la proposition stéphanoise, Domingo hésite à franchir le pas. Son papa est veuf et est atteint d’une maladie incurable, la Silicose, terrible fléau touchant les mineurs. Ce dernier, pourtant, pousse son fils à accepter cette opportunité et les deux espoirs auvergnats s’engagent pour l’ASSE.

Domingo connaît sa première titularisation avec les Verts le 23 octobre 1949 à Sochaux mais, peut-être tétanisé par l’enjeu, il passe complètement au travers, humilié par son adversaire direct qu’il était censé surveiller, ce dernier s’offrant un festival. Après cette défaite douloureuse (2-6), il est la cible des critiques de la presse qui ne l’épargne pas et même de ses partenaires.

Vexé, il veut repartir chez lui. Heureusement, il serre les dents et l’entraîneur foréziens, Ignace Tax, lui donne, en guise de cadeau de noël, une deuxième chance le 25 décembre 1949 à Geoffroy Guichard contre le FC Sète. Cette fois-ci, il ne la laisse pas passer. L’ASSE gagne 1-0 et surtout le 1er janvier 1950, il inscrit les deux buts de la victoire contre le RC Lens (2-0) marquant les vrais débuts de Domingo à Saint-Etienne. Sa carrière, qui aurait pu s’achever aussi vite qu’elle avait commencée, est définitivement lancée.

Parc des Prines Paris
16 novembre 1958
Rc Paris contre AS SAint Etienne.
Equipe Saint Etienne.
Debout de g ‡ d: Francois Wicart, Juan Casado, Richard Tylinski , Rene Domingo, Claude Abbes, Robert Herbin.
Accroupis: Georges Peyroche, Yvon Goujon, Eugene N'Jolea, Rene Ferrier, Ferenc Nyers.
Photo: Collection Bancet / Icon Sport

MAÎTRE DU MILIEU DE TERRAIN STEPHANOIS

C’est avec l’arrivée de Jean Snella, la saison suivante, qu’elle prend sa véritable dimension. L’entraîneur stéphanois en fait un des piliers de sa formation et lui offre rapidement le brassard de capitaine. Ce choix ne supporte aucune contestation tellement Domingo fait corps avec son club. Il représente au plus haut point les valeurs que Jean Snella défend bec et ongles : le travail, l’humilité, l’abnégation et l’amour du maillot car c’est sur ces fondations qu’il peut construire un football offensif et toujours en mouvement. L’entraîneur a trouvé le leader qui lui manquait et en qui il peut s’appuyer notamment lors des rencontres contre l’Olympique Lyonnais qui voient le jour dans les années 1950. D’ailleurs, Domingo jouera les dix-sept premiers derbies entre les deux équipes.

Cette décennie est à marquer d’une pierre blanche parce qu’elle est celle des premières distinctions. Le 3 juin 1955, Domingo soulève la Coupe Drago, le premier trophée de l’histoire du club, remportée au Parc des Princes contre Sedan (2-0). Il est bientôt suivi par le titre de champion de France en 1957, le premier d’une longue série pour l’ASSE. Tous ces bons résultats, ainsi qu’un passage remarquée en Coupe d’Europe contre les Glasgow Rangers, valent au valeureux capitaine sa première et unique sélection en équipe de France contre l’Angleterre le 27 novembre 1957. Il est appelé en même temps que Richard Tylinski dont c’est également les débuts et Claude Abbes. Trois Stéphanois sous le maillot bleu, c’est un exploit puisqu’il ne s’était réalisé que deux fois auparavant en 1951 avec les sélections conjuguées de René Alpsteg, Antoine Cuissard et Guy Huguet.

Le départ de Jean Snella, en 1959, est une véritable cassure et il ne peut empêcher le club de sombrer jusqu’en D2 en 1962, malgré son implication et malgré une victoire inespérée en Coupe de France cette même année. Heureusement le purgatoire est de courte durée et il est sanctionné dès l’année suivante par un titre de champion de D2 qui manquait à son palmarès.

Toutes les conditions sont donc réunies pour que Roger Rocher puisse annoncer fièrement le retour du mythique entraîneur à l’orée de la saison 1963-64. Les Verts attaquent le championnat tambour battant et ils virent en tête dès le mois de novembre. C’est une véritable surprise et malgré ces performances remarquables, l’ASSE n’a toujours pas les faveurs des pronostics car jamais une club promu n’a encore remporté le championnat de France de D1.

UNE FIN DE CARRIERE BRUTALE

Arrive cette funeste 19e journée, la deuxième des matches retours, à Valenciennes, le 19 janvier 1964. René Domingo, à 35 ans, est toujours l’indiscutable capitaine sur lequel Jean Snella s’appuie les yeux fermés. Il n’a raté aucun match et s’apprête à mener ses troupes vers son deuxième titre de champion de France lorsqu’à la 15e minute, à la suite d’une charge excessive du Valenciennois Kocik, il s’écroule. Malgré la présence des protèges-tibias, le diagnostic est brutal : double fracture de la jambe. Devant la gravité de sa blessure, Domingo est opéré d’urgence sur place à Valenciennes.

Malheureusement, lors de son transport à Saint-Etienne, la fracture se déplace. Une nouvelle opération est nécessaire. Elle est réalisée avec succès mais elle l’a empêché de retrouver l’intégralité de ses moyens l’obligeant à mettre un terme définitif à sa carrière professionnelle après 423 matches en D1. C’est une durée exceptionnelle pour l’époque puisque seuls Roger Marche, Robert Jonquet, Joseph Ujlaki et Jean-Jacques Marcel avaient connu longévité plus longue à ce niveau de la compétition jusque-là.

stade Yves Du Manoir, Colombes
13 Mai 1962 Finale Coupe de France.
As Saint Etienne vainqueur contre Fc Nancy
Equipe As Saint Etienne
Debout de g a d : Juan Cassado, Nello Sbaiz, Richard Tylinski, Claude Abbes, Robert Herbin, Rene Domingo.
Accroupis : Jean Claude Baulu, Roland Guillas , Gines Liron, Rene Ferrier, Jean Oleksiak.
Photo: Collection Bancet / Icon Sport

Domingo reste encore quatre ans au club en tant qu’entraîneur des amateurs avant de tirer définitivement sa révérence. Il a pu se consacrer à l’une de ses passions, les westerns, à  l’origine d’ailleurs de son surnom « Bill ». Il est encore le joueur plus capé de l’histoire de l’AS Saint-Etienne et certainement son capitaine le plus emblématique et pourtant d’autres joueurs de renom ont un jour eu le privilège de porter le brassard des Verts, du premier, André Boutet en 1933, en passant par Robert Herbin, Jean-Michel Larqué pour ne citer qu’eux. Tous lui doivent le respect car il représente le travailleur de l’ombre qui a su magnifier les valeurs ancestrales de l’AS Saint-Etienne et porté l’ASSE jusqu’à la consécration. René Domingo s’est éteint le 13 juin 2013 à l’âge de 84 ans peu de temps après la victoire de son équipe fétiche en coupe de la ligue.

Terminons par cette anecdote savoureuse concernant le capitaine stéphanois :

En juin 1957, Saint-Etienne est devenue championne de France. Les «Chocolats Pupier», décident d'offrir au capitaine de l'équipe, René Domingo, son poids en chocolat. La pesée a lieu le 5 juin 1957 et est relaté dans l’édition du Progrès du lendemain.

En présence du Président de l'ASSE, Pierre Faurand, des entraîneurs et des joueurs, René Domingo s'assoit sur un des plateaux de la balance, et on installe 75 kg  en tablettes de chocolat, sur l'autre plateau. L'entraîneur, Jean Snella, malicieusement, indique que l’entraînement du jour a fait perdre à son capitaine deux kilos et les dirigeants de la société bienfaitrice obtempèrent rajoutant donc les deux kilos de chocolat supplémentaires. De quoi s’offrir une belle crise de foie !

En images avec notre partenaire ASSE Memories

Finale de la coupe de France 1962

Des témoignages des joueurs stéphanois sur la blessure de René Domingo

L’ASSE fête le titre 1964 avec René Domingo