12 mai 1976 Finale de la coupe d’Europe des Clubs champions : Bayern Munich – ASSE 1-0
Le 12 mai 1976 restera une date qui aura marqué l’histoire de l’AS Saint-Etienne. Les Verts disputaient une finale de coupe d’Europe qui est restée dans les mémoires malgré la défaite au goût amer. Nous vous proposons de revivre ces moments légendaires en trois parties distinctes.
Dans un premier temps, revivons ensemble les dernières heures avant cette rencontre qui a tenu en haleine des millions de Français. Ensuite, nous nous pencherons sur un match qui a laissé tant de regrets. Enfin, nous reviendrons sur les festivités d’après-match où les Verts ont été accueillis comme des héros dans une ferveur que seule la France peut offrir à des perdants magnifiques.
PREMIERE PARTIE : L’AVANT MATCH
LA FRANCE RETIENT SON SOUFFLE
L’AS Saint-Etienne s’est installée à l’Esso Motor Motel d’Erskine, situé à quinze kilomètres de Glasgow. Dans la nuit qui précède la finale de la Coupe d’Europe, Robert Herbin a pris deux cachets pour dormir. Au petit matin, Pierre Garonnaire le rejoint dans sa chambre pour parler encore une fois de l’adversaire, le Bayern Munich. C’est la belle qui se joue ce soir. La première manche avait été remportée en 1969 par les hommes d’Albert Batteux, la deuxième est revenue aux Allemands pas plus tard que l’année précédente en demi-finale de cette compétition.
Pour ne rien laisser au hasard, Garonnaire et Herbin sont allés superviser les Bavarois par deux fois lors de ces dix derniers jours face à Duisbourg (2-0) et à Hambourg (2-2) en Coupe d’Allemagne. Ils ont pu constater la redoutable efficacité de Franz Beckenbauer et de Gerd Muller dont on prétendait, surtout pour le dernier nommé, éloigné de nombreux mois des terrains en début de saison, qu’ils étaient sur le déclin.
A 9 heures, Jacques Chancel, le célèbre animateur interview Roger Rocher directement depuis l’hôtel pour une émission radiophonique qui passera à 17 heures sur France-Inter. L’entretien dure une heure. Le Président y fait part de ses impressions et de sa fierté de conduire son équipe à cette finale. Qui aurait pu imaginer lorsqu’il a pris les destinées de l’Olympique de Saint-Etienne à l’automne 1946 qu’il accomplirait un tel parcours ?
L’aérodrome d’Andrézieux Bouthéon n’en finit pas d’embarquer les milliers de supporters en partance pour Glasgow. Pierre Guichard, le fondateur du club, est venu en personne assister aux premiers départs. Il se remémore les débuts de l’ASSE en 1933 et il ne peut qu’apprécier tout le chemin parcouru, en partie grâce à lui ou à ses décisions : c’est lui qui notamment a imposé la nomination de Roger Rocher pour prendre sa succession.
Ce matin, Herbin est venu prendre des nouvelles de son joueur vedette, Dominique Rocheteau, dont une blessure, un claquage contracté lors de la demi-finale retour contre le PSV Eindhoven, rend sa participation à cette rencontre très problématique. Le verdict est toujours le même, il ne pourra tenir au mieux qu’un quart d’heure.
Gérard Farison et Christian Synaeghel n’auront même pas cette chance. Par la faute de Nîmois irresponsables, ils ont été sérieusement blessés les obligeant, la mort dans l’âme, à déclarer forfait. Ils ont tenus quand même à être du voyage pour encourager l’équipe et leur insuffler toute l’énergie qu’ils ne pourront pas dépenser.
Les Allemands sont installés à Turnbury, à quatre-vingts kilomètres de Glasgow. Le cadre est somptueux. Ils peuvent se le permettre avec un budget de 26 millions de Francs (deux fois supérieur à celui de l’ASSE). Mais pour s’y être pris trop tard, ils n’ont pas pu trouver un lieu de villégiature plus proche. En ce sens, on peut dire que les Stéphanois ont gagné le premier round. Ils n’ont pas eu trop de mal puisqu’ils occupent le même hôtel qu’ils avaient choisi au mois de novembre 1975 lorsqu’ils ont affronté les Glasgow Rangers.
Albert Batteux, ancien entraîneur de l’ASSE de 1967 à 1972, est à Glasgow également. Il a accepté de commenter le match pour Radio Luxembourg, un exercice qui est fait pour lui tellement on lui reconnaît des talents d’orateur. Il connaît tous les joueurs stéphanois qui vont fouler la pelouse ce soir sauf Yvan Curkovic et Osvaldo Piazza pour les avoir eu sous ses ordres ou en tant que stagiaire.
A midi, les joueurs ont droit pour le repas à un pamplemousse, un steak énorme (que certains auront du mal à finir), du riz et un gâteau de riz le tout agrémenté d’eau minérale. Pour l’un d’entre eux, le menu a peut-être plus de mal à passer mais pas pour les bonnes raisons. Il s’agit d’Alain Merchadier. Il a le moral en berne car il sait qu’il n’est que le treizième homme sur la feuille de match malgré les absences des titulaires. A cause de blessures à répétition cette saison, il n’a pas réussi à exprimer l’étendue de ses qualités comme il l’entendait.
Un autre n’a pas ces soucis et il doit se féliciter à posteriori d’avoir opté pour l’ASSE plutôt que pour Bastia comme il aurait pu le faire sans l’intervention insistante de Pierre Garonnaire. Cet homme s’appelle Curkovic. Depuis il n’a raté qu’un match en quatre ans de présence, un 32e de finale de la Coupe de France contre Le Mans l’année précédente permettant ainsi à son éternel remplaçant Esad Dugalic de disputer au moins une rencontre professionnelle avec les Verts. Toutefois ce soir, ce dernier ne sera même pas remplaçants à cause d’une blessure à la main. Ce sera donc un gamin de 19 ans, Jean Castaneda, qui se rendra sur le banc.
L’ASSE A GAGNE LA BATAILLE DES SUPPORTERS
Depuis le matin, un avion se pose toutes les trois minutes sur l’aéroport de Glasgow. 110 appareils de toutes sortes desservis par vingt compagnies différentes défileront toute la journée. Trente mille supporters français sont attendus à Hampden Park contre seulement cinq mille Bavarois : deuxième round emporté par les Stéphanois.
Pour faire face à cette affluence record, les pubs ont été autorisés à ne pas fermer à 22h 30 comme la loi le prévoit. Tout un dispositif sécuritaire est bien entendu mis en place pour canaliser la foule à l’aide d’un nombre tenu secret de policiers prêts à agir en cas de débordements. Leur particularité : ils ne sont pas armés et ne possèdent pas non plus de grenades lacrymogènes. Ils disposent seulement de sifflets et de bâtons mais on peut leur faire confiance, ils savent s’en servir le cas échéant.
Toutefois, le stade a vu sa capacité réduite de moitié, elle passe de 160 000 spectateurs à 80 000 spectateurs pour des raisons de sécurité. Malgré cela, le Bayern avait proposé que l’on change le lieu et la date de la finale craignant une recette insuffisante. Cette proposition a profondément vexé les Ecossais qui se sont instantanément rangé du côté des Français.
Pierre Guichard, le Président d’honneur, a débarqué avec une heure de retard en compagnie de Mme Larqué, Mme Piazza et Mme Repellini. Il vit toujours intensément ces rencontres même s’il a désormais le loisir de mieux les apprécier puisqu’il n’a plus aucune responsabilité au sein du club.
Dans les rues de Glasgow, un homme effectue son pèlerinage. Arrivé en fin d’après-midi, Pierre Faurand, ex-président des Verts, s’est installé au Saint-Ennoch Hôtel, celui-là même qui l’avait accueilli ainsi que ses joueurs pour la première aventure européenne de l’ASSE en 1957. A Ibrox Park, contre les Glasgow Rangers, les Abbes, Tylinski, Wicart, Domingo, Njo-Léa, Mekloufi goûtait au doux parfum de la Coupe d’Europe et même s’il y eut une défaite au bout du compte (1-3), c’est là que tout a commencé.
Pour les titulaires de ce soir, ce passé est bien révolu et aujourd’hui ce sont eux qui sont sur le devant de la scène en espérant que la conclusion soit conforme à celle de novembre dernier plutôt que celle d’il y a 19 ans.
LES DERNIERES HEURES AVANT LE MATCH
Il est presque 18 heures lorsque les Stéphanois s’installent pour la traditionnelle causerie d’avant match. Une heure plus tôt, ils ont englouti un léger encas à base de thé, toasts, confiture et du miel. Les chaises ont été exactement disposées comme lors de leur première visite pour les huitièmes de finale. Par superstition, le staff a reconstruit les mêmes conditions de préparation qui leur avait si bien réussi l’automne précédent. Ainsi, autour de trois sièges centraux occupés par Rocher, Herbin et Garonnaire, les chaises des joueurs sont placés comme pour former un arc de cercle.
Roger Rocher est le premier à prendre la parole. Il sera bref : quatre minutes pour exhorter ses troupes à avoir confiance car ils ont des chances de gagner à condition d’y croire vraiment.
Robert Herbin insiste dans le même sens « Vous ne venez pas ici pour vous défendre mais pour vous imposer… ». Ensuite, il donne ses dernières consignes individuelles dont une spéciale à l’intention d’Oswaldo Piazza : « Oswaldo, tu connais Muller, tu sais comment il joue, il bouscule beaucoup, il recherche les coups francs, les penalties, alors sois prudent ! »
Lorsque les joueurs ont posé le pied pour la première fois sur cette pelouse quarante-huit heure auparavant, ils ne l’ont pas trouvé fameuse. Le jardinier leur a assuré qu’elle serait en parfait état pour le match. Et effectivement, en ce 12 mai au soir à deux heures du coup d’envoi, il a raison. C’est un vrai billard.
Dans les vestiaires, le trac commence à se sentir de plus en plus. Pierre Repellini ne tient plus en place. Par superstition, Christian Lopez attache toujours sa chaussure gauche en premier. D’autres sont gagnés par les mêmes manies. Rocher utilise sa pipe des grands soirs, Curkovic utilise un équipement qui est obligatoirement repassé par sa femme. Gérard Janvion n’arrête pas de trembler, ses mâchoires claquent et il ne peut pas les retenir. Il attache à l’élastique de son short une médaille de la Vierge offerte par un vieil admirateur de 88 ans. Rocheteau mange des morceaux de sucre. Un soir de match, il peut en ingurgiter entre 25 et 30. Doucement, Patrick Revelli fait glisser la médaille représentant la tête du christ qu’il porte autour du cou. Il l’enlève avant de jouer et la remet en se rhabillant. Il l’embrasse et il se recueille.
Un a un, les joueurs ont rejoint le terrain pour s’échauffer. Seul Hervé Revelli, Jean Michel Larqué et Curkovic sont restés dans les vestiaires. Ils ne sortiront pas avant le match. Le premier par superstitution, la première fois que l’avant-centre l’a fait, il a marqué deux buts. Depuis il continue. Les autres plus par habitude.
25 à 30 000 spectateurs français ont pris place dans les tribunes. C’est bien plus que les 250 qui s’étaient rendus à Glasgow l’automne dernier.
Le match peut alors commencer !
A suivre la 2e partie : Un match qui a laissé tant de regrets !
Albert Pilia