Aimé Jacquet, Légende de l’ASSE et Champion du Monde 1998, s’est exprimé sur France Culture. Retranscription.

L’enfance d’Aimé Jacquet

Aimé Jacquet : « Très jeune, ma seule distraction était le football. Mais il y avait aussi des obligations à cette époque-là. Je suis né de parents qui avaient une boucherie. C’était se lever pour le père tous les jours à quatre heures du matin. C’était aller chercher les bêtes. Le jeudi, on partait à quatre heures du matin pour aller à la foire. Et aussi l’abattoir. À cette époque, chaque boucher avait son abattoir. Nous allions en foire, nous ramenions les bêtes avant de les tuer.

J’ai eu une jeunesse fantastique. J’étais heureux. Toujours dehors, en contact avec la nature. Une éducation très rigoureuse.

Le foot, c’était l’après-midi. Mon premier terrain est celui de Sail-Sous-Couzan. C’est un village riche, car il y avait une source. On avait un beau terrain. Nous étions bien encadrés. Quatre joueurs pros sont sortis de Sail-Sous-Couzan. Le village était tourné autour du foot.

On avait battu Roanne à l’époque. C’était fou. Le dimanche, c’était le foot. C’était la seule distraction. Tout le monde se retrouvait au foot.

Je n’étais pas très brillant à l’école. Heureusement que j’ai eu un instit qui m’a sauvé. Il aimait bien le foot. J’ai passé un CAP de fraiseur à Thiers. Une très belle région. J’ai fait trois années d’apprentissage tout en continuant de jouer au football en Haute-Loire.

J’étais fraiseur à Saint-Chamond. Nous étions 4.000 ouvriers. J’étais dans l’atelier central dans le service outillage. C’était un travail d’équipe. Les anciens nous aidaient. C’était en 1959… »

Son arrivée à l’ASSE

« Comme on avait une très belle équipe, on a attiré le regard de Pierre Garronaire (Recruteur mythique de l’ASSE). Il est venu me voir pour me dire de rejoindre l’AS Saint-Etienne. J’ai répondu que oui, mais Saint-Etienne était une grande équipe nationale. 

Je suis venu m’entraîner un petit peu. Puis Jean Snella est arrivé en tant qu’entraineur. Il m’a dit de venir m’entraîner le matin. Mais je travaillais le matin ou l’après-midi. Du coup, je me suis arrangé avec mon copain pour qu’il fasse les matins et moi les après-midi. Il s’est un peu sacrifié.

Du coup, j’ai eu la possibilité de m’entraîner avec les pros pendant une bonne année. Puis, ça m’a permis de voir ce dont j’étais capable. Il y avait l’armée en plus qui est arrivé par-dessus. Nous étions des footballeurs ouvriers.

Mais ce n’était pas comme aujourd’hui. On jouait tous les huit jours. Il n’y avait pas la répétition des matchs. Nous ne jouions pas de la même manière. On partait sur un week-end et c’était long. Certains jouaient aux cartes, moi, je lisais beaucoup. J’aime beaucoup l’histoire de France. »

Les conseils de Jean Snella

« Une fois qu’on devient footballeur professionnel, c’est le changement de vie. Avant, je me levais à 3h30 du matin, là, j’allais à l’entraînement à 9 heures.

Deux heures d’entraînement seulement. Je m’ennuyais un peu. Je faisais des « sur-entraînements » du coup. Jean Snella disait toujours :  » Tu es un peu frêle. Tu devrais faire un peu de musculation. » J’avais trouvé un ancien mineur qui faisait des séances de musculation. Du coup, j’allais les après-midi faire de la musculation avec lui.

J’étais très grand. Du coup, j’étais frêle. Je n’avais pas fait d’école de football. Je me suis mis à bosser comme un fou. 

Le football est un langage. Le langage, c’est la passe. Quand on joue, on échange. C’est une complicité. C’est quelque chose de fantastique. Un langage à 11 et une vie commune à côté. C’est un bonheur partagé.

Jean Snella m’a toujours dit : « Si tu veux être rayonnant dans une équipe, il faut que toi, techniquement, tu sois impeccable. Que ta relation soit faite d’honnêteté et de respect vis-à-vis des gens. » C’est ce relationnel fait par le ballon qui vous donne le rayonnement. »

La ferveur Verte

« Il y a eu une première génération formée par Jean Snella à l’ASSE. Puis une seconde est arrivée. Jean Snella était parti en Suisse, mais Monsieur Rocher l’a fait revenir. Là, c’était fantastique. Bosquier, Carnus, Bereta, … C’est toute une aventure de vie.

Ça a duré 12 ans. Ce n’est pas comme aujourd’hui où on change de club chaque année. C’était vraiment là pour le maillot. Ce n’était pas comme aujourd’hui. On perdait un match, ce n’était pas catastrophique. Il y avait le respect de l’entraîneur. Il y avait le respect du maillot.

Le plus régional, c’était Bereta. Il était né à 15 mètres du Stade ! Moi, j’étais un régional. Il y avait une identité verte. Le Maillot Vert c’était quelque chose ! Quand je rentrais au village, tout le monde était très fier.

Mai 1968 ? C’est peut-être ma meilleure année. Je crois que je suis sacré meilleur jouer de l’année d’ailleurs. C’est l’année où on part en catastrophe après avoir emporté la Coupe de France. Tout est bouché.  Tout est en grève. On se sauve de Paris. On n’a pas savouré cette belle saison, mais ce n’est pas grave. On avait fait le doublé championnat – Coupe de France. Un aboutissement.

Moi, je restais proche de mes copains de l’usine. De temps en temps, j’allais les seconder et leur remonter le moral. C’était très dur. »

Une fin de carrière … à Lyon

« Ensuite, je suis gravement blessé. Je reste longtemps sans jouer. À ce moment-là, je pense que ma carrière est fichue. J’ai été opéré deux fois au talon d’Achille. J’ai voulu rejouer. La nouvelle génération arrive. Ils iront jusqu’en finale. C’est fantastique ! C’est Robert Herbin qui prend l’équipe première. On a joué longtemps ensemble. 

Je pars chez le voisin ennemi : Lyon. Je n’avais pas le choix… Je n’avais pas beaucoup de proposition à l’époque. J’avais Lyon et Gueugnon. Je veux rejouer donc je rejoue avec Lyon. C’est la cassure avec mon monde, tout mon environnement.

C’est vrai que ça n’a pas été facile. J’ai bien rejoué avec Lyon. Je voulais devenir entraîneur. C’est ce que j’ai fait. »