De l'Afrique du Sud à l'Angleterre
Ivan Gazidis : "Je suis né en Afrique du Sud. Mon père était en prison quand j'ai vu le jour, parce qu'il était un activiste anti-apartheidiste. Quand il est sorti de prison, nous avons effectivement été exilés, comme réfugiés au Royaume-Uni. Nous sommes arrivés sans rien, et nous avons dû construire une vie pour nous-mêmes, loin de nos familles, de nos amis et de tout ce que nous avions connu."
A l'origine de la MLS
Ivan Gazidis : "Je travaillais en tant qu'avocat à Londres. J'aurais probablement pu continuer, mais j'ai eu l'opportunité, avec un ami, de commencer à écrire un plan de business pour une nouvelle ligue de football américaine. J'ai donc déménagé à L.A. et je vous dirai que la plupart des gens pensaient que c'était fou de faire ça à ce moment-là. Il n'y avait pas de Ligue. Il y avait une idée. Il y avait un papier blanc sur lequel on devait écrire un business plan pour une nouvelle Ligue. Mais le football avait toujours failli en Amérique. Toutes les Ligues avaient failli, y compris avec Pelé.
Pourquoi avoir tenté ? J'aime le football. J'ai joué toute ma vie, j'y joue toujours quand je peux. J'aime le sport. C'était juste l'amour du jeu. Mais je pense que c'était aussi une chose romantique. C'était avec un ami. C'était l'opportunité de vraiment créer quelque chose. Il n'y avait rien, il y avait une idée. C'était vraiment excitant pour moi. Je n'avais pas de femme et d'enfants. J'avais 28 ans quand j'ai fait ça. [...] J'aimerais dire que j'avais un plan brillant pour ma vie. Je n'en avais absolument pas. Une excellente opportunité est tombée, je l'ai identifiée. Nous avons essayé d'apprendre de tout ce qui s'est passé avec les erreurs. Nous avons regardé comment fonctionnent les ligues sportives, et nous avons créé une ligue de football qui était complètement différente.
Les équipes sont en quelque sorte comme des offices régionales qui compètent l'une contre l'autre. Ce n'est pas une structure romantique, mais nous n'aurions jamais eu d'investissement sans une structure qui donnait du contrôle collectif à l'investisseur. C'est ce qui a permis à MLS de faire des choses comme signer Lionel Messi. Ils le font de façon à laquelle tout le monde en bénéficie. Ils le font à travers une discussion et une stratégie collective."
Un départ à Arsenal
Ivan Gazidis : "Arsenal, ils étaient enthousiastes pour me recruter. Ce qui m'a amené à le faire ? Quand tu travailles pour une ligue, tu es toujours dans l'équilibre. J'ai voulu avoir ce sentiment d'excitation viscérale chaque week-end.
J'ai rejoint le club le 1er janvier 2009. La première chose, c'était que le marché des propriétés était en crise complète. Nous avions Highbury Square, l'ancien stade, 650 appartements que nous possédions, et nous arrivions à un point où nous devions les vendre. Nous n'étions pas staffé comme il le fallait.
Un modèle c'était vraiment Manchester United qui avait atteint la croissance. Les Glazers (propritéiares de Manchester), l'une des choses qu'ils ont réalisées, c'est qu'il fallait investir. Ils ont investi dans leurs ventes commerciales et ont conduit leur revenu de vente globale d'une manière incroyable. Ils étaient les premiers à y aller. J'ai voulu développer la capacité d'Arsenal. Nous avons construit le stade, vendu les propriétés, signé des contrats commerciaux à long terme, établi un naming pour le stade.
On a dû attendre, amener le club dans une meilleure situation où on pouvait réellement capitaliser sur les opportunités quand ça s'est passé. après avoir construit l'organisation, mais la construction de l'organisation de la bonne façon a pris environ trois ans. Et puis, quand nous avons renégocié ces contrats, nous avons apporté beaucoup de valeur au club."
Les sponsors vus par Gazidis
Ivan Gazidis : "Les sponsors potentiels cherchent des indicateurs pour mesurer leurs investissements. Ils veulent savoir si vous avez des systèmes CRM, que vous connaissez vos fans, si vous pouvez vous connecter avec eux. C'est trop souvent oublié dans le football. Ils pensent à ce qui se passe sur le terrain. Mais un club de football doit savoir qui sont ses fans. C'est ce que les sponsors cherchent. Ils veulent être en mesure d'améliorer et mesurer leur investissement. Vous devez être en mesure de leur prouver cela dans le business moderne.
Manchester a montré le chemin sur ces ventes de sponsorship liées au processus, c'est que si vous investissez dans la capacité interne, oui, c'est un investissement dans le club, mais ça payera pour le club à long terme. C'est ce que nous avons fait à Arsenal. L'équilibre devient tellement intéressant, parce que tu as tout ça sur ta table, et c'est tellement plus que ce qui se passe actuellement. [...]"
La vision à court terme du football
Ivan Gazidis : "Nous avions une situation étrange à Arsenal, à cause de la longue carrière d'Arsène Wenger. Dans un club, vous avez votre coach qui s'intéresse à la courte durée. C'est comme ça qu'ils sont jugés, jour après jour, match après match. Ils ont la perspective la plus courte. Dans un certain modèle, vous avez le directeur de football, ou le directeur technique, qui a un temps médium. Il doit penser à la saison suivante dans la façon dont on construit les contrats, développe les joueurs et leur donne des opportunités.
Le chef d'exécutif c'est le plus long terme. Il pense à ce qui se passera en 2028. Je dirais qu'il n'est pas trop populaire, mais c'est un rôle nécessaire. Si vous avez le bon équilibre entre ces dynamiques, en termes de long terme et de court terme, parce que si vous vous concentrez uniquement sur le long terme, vous êtes aussi foutu. Le court terme compte. Et ce qui compte, c'est votre relation avec votre base de fans et comment les fans se sentent. Cette balance est vraiment délicate.
Apporter espoir et fierté
Ivan Gazidis : "Pour la communauté, l'essentiel c'est vraiment d'apporter de l'espoir et de la fierté. Ces types d'émotions humaines sont fondamentales. Ce sont des émotions incroyablement puissantes que vous entraînez. J'ai vécu ça avec Milan. L'unité, la passion, ce que vous pouvez atteindre ensemble quand toutes ces choses sont alignées, c'est incroyable. C'est merveilleux. Pour autant, c'est extrêmement explosif. Les réseaux sociaux sont aussi en train de s'intégrer. Donc c'est très volatil. Dans cet environnement, je ne pense pas qu'il soit en bonne santé. Le football est très déshumanisé. Cela conduit à beaucoup de mauvaises décisions.
Les clubs et les ligues de football sont des marques extrêmement importantes, en termes d'entreprise. Pour autant, ce sont des entreprises assez petites. La plupart des clubs de football, même au plus haut niveau, peuvent gagner 400 ou 500 millions par an. Manchester United n'est pas Coca-Cola. Qu'est-ce que ça signifie ? D'abord, si on regarde ça comme un investisseur, c'est une opportunité. On peut imaginer que l'on peut organiquement augmenter les revenus du club de football vers la taille de sa marque."
Un modèle plus horizontal ?
Ivan Gazidis : "Dans un club de football, le chef d'exécutif n'est pas nécessairement la personne la plus importante. Vous avez une table, vous rapportez au propriétaire. [...] Le modèle avec un seul leader n'est plus le bon pour moi. Il est inefficace quand le monde change rapidement. Nous pouvons penser à d'autres modèles de leadership qui existent, où il y a beaucoup plus de collaboration, horizontalement et verticalement. Ils sont moins hiérarchiques. Ce n'est pas que le chef d'exécutif ou le leader mais un environnement culturel que vous créez, où les gens se sentent en sécurité. Les hommes n'aiment pas demander des directions dans la rue. Dans cet environnement très masculin, très insécuritaire, il y a beaucoup de comportements qui ne sont pas optimaux pour une organisation moderne."
Ivan Gazidis au Milan AC
Ivan Gazidis : "Le club était en crise depuis un temps. Il n'avait pas été qualifié pour l'Europe depuis 7 ans. Il n'avait pas gagné le championnat depuis 11 ans. Il a été pris en charge par un fonds de New York quand le fond chinois n'était pas en mesure de payer la dette qu'il avait utilisé pour acheter le club. C'était vraiment un moment de crise.
Je me souviens de l'un de mes premiers matchs, nos ultras étaient très en colère. On perdait 3-0 à la maison, les Ultras avaient quitté le stade. On jouait dans un San Siro quasi vide. Le club avait perdu environ 150 millions d'euros par an. Il y avait beaucoup de joueurs avec des contrats lourds et la performance de l'équipe restait moyenne. Il y avait beaucoup de défis. Nous n'avions pas de département commercial. La moitié des contrats de sponsorings étaient italiens. On avait un stade incroyable et merveilleux mais qui est vraiment très vieillissant. Il y a des endroits du stade qui sont fermés par sécurité. Si vous allez à San Siro, assurez-vous d'aller aux toilettes avant d'aller au stade, surtout si vous êtes une femme.
Le plan pour relever Milan
Ivan Gazidis : "Je suis arrivé sans parler l'italien, porté par le fond d'investissement New-Yorkais. Le scepticisme était grand. [...] Je suis venu avec beaucoup de problèmes à résoudre, mais j'ai eu du soutien de l'intérieur du club. On a dû mettre en place une nouvelle organisation. On a mis en place une nouvelle équipe de gestion pour analyser ce que nous faisions sur le plan sportif. Mais aussi sur le plan commercial, en s'assurant que ces deux choses étaient liées à un standard moderne.
Puis, nous avons beaucoup travaillé sur le plan sportif, en remodelant l'équipe. J'avais des fonctions commerciales, mais c'était plus technique. Je suis revenu à certaines missions et fonctions du directeur sportif. Notamment dans la gestion des contrats de l'équipe.
Nous avons apporté un brillant scout de classe supérieure, spécialisé dans l'identification des jeunes joueurs. Il a travaillé avec des analystes. Nous avons créé un département analytique qui a fait beaucoup d'analyses de joueurs, d'analyses statistiques. C'est vraiment cette combinaison qui a performé. On a choisi un directeur sportif. J'ai été vraiment impressionné par Paolo Maldini et son travail. Ses qualités humaines avec les joueurs. Je pense que Paolo a beaucoup apporté au projet, par son charisme et sa présence, puis sa crédibilité. Les jeunes joueurs avaient besoin d'un père qui leur donnait un sens. Et Paolo a fait un très bon travail avec ça."
Une combinaison gagnante à Milan
Ivan Gazidis : "On a commencé ce processus. Ce n'était pas facile, parce que la première année, on vendait ou laissait même aller gratuitement certains de nos meilleurs joueurs, et certainement certains de nos joueurs les plus coûteux, et les supporters étaient sceptiques. Je ne parlais pas l'italien encore. Les propriétaires étaient des fonds de logements, l'équipe n'était pas bonne, et nous leur disions qu'on allait signer des jeunes joueurs.
Parfois, je dis que c'est comme être un pilote d'avion, vous êtes dans un mauvais vent, et vous devez lancer cet avion en sécurité. Tous les passagers qui n'ont jamais volé en avion, vous crient dessus. Vous devez vous concentrer sur ce que vous pensez être correct. Vous devez avoir l'habilité à l'intérieur de l'organisation pour que les gens restent avec vous. Vous devez juste faire de votre mieux pour réunir tout le reste. Parce qu'au final, ce n'est pas une critique des gens qui sont à l'extérieur du club, mais la réalité est qu'il y a tellement de désinformation. C'est les gens au cœur du club qui le comprennent et qui connaissent les défis. Le plus important c'est l'interne. Si ils ne croient pas, ce n'est pas une mission solitaire. Vous faites tout ça ensemble."
Ivan Gazidis et les Ultras
Ivan Gazidis : "J'ai toujours trouvé surprenant que les gens, parce que leur connexion émotionnelle avec le club est si forte, croient que les gens au centre, que ce soit les joueurs ou le coach, ou même les chefs d'exécutif ne s'intéressent pas au club. Et rien ne peut être plus loin de la vérité. Quand vous êtes au centre d'un club, vous vivez pour ce club de football. En dehors de votre famille, c'est tout ce que vous avez à vouloir, et vous essayez de le faire fonctionner.
La relation avec les Ultras milanais ? Je pense que ce qui est vraiment important, en tant que leader, c'est d'être authentique. Je pense que je l'ai toujours fait à l'intérieur, y compris à Arsenal. J'ai appris quelque chose de nouveau à Milan. Le football italien… Je pense que c'est l'une des choses les plus intéressantes de ma carrière.
J'ai regardé le football d'un point de vue d'administrateur de ligue en MLS, où tu es neutre. Je l'ai regardé dans le contexte anglais, en Premier League. Et ensuite, dans le contexte italien. C'est encore une façon différente. En l'Italie, ils regardent et expérimentent le sport d'une manière encore plus émotionnelle qu'en Angleterre. Ce que j'ai appris de cette perspective, c'est l'authenticité interne. J'avais l'impression que l'Arsenal était un endroit très stable. A Milan, je communiquais beaucoup plus sur un niveau émotionnel directement avec les supporters. Ce qui m'invitait à exposer mes vulnérabilités publiquement. Et je pense que ça s'est passé de plusieurs façons."
S'ouvrir pour recevoir ?
Ivan Gazidis : "J'ai eu un cancer quand j'étais là-bas. C'était public. Toutes ces expériences m'ont amené à m'ouvrir un peu plus publiquement, et apprendre à parler l'italien, c'était très important. Je dois dire que j'ai une relation très spéciale avec les supporters de Milan. Il y a eu des moments incroyables de soutien, non seulement de San Siro, mais aussi, personnellement, quand je marche dans la ville. Vous pouvez ressentir la connexion.
Les gens vous pardonneront beaucoup s'ils savent que vous vous souciez. Et je pense que, parfois, en tant que leader, nous faisons une erreur, celle de ne pas comprendre tout ça. J'avais l'impression au départ que je n'avais pas besoin d'expliquer ça, mais en fait, il faut le montrer.
On a acheté Ibrahimović. Il avait 38 ans. Nous étions l'équipe la plus jeune à gagner le Scudetto. Et nous avions Ibrahimović et Giroud. Donc, vous pouvez imaginer à quel point les autres étaient jeunes. Et ça a vraiment fonctionné magnifiquement. Donc, quand les gens me disent, vous savez, est-ce que l'apport d'Ibrahimović était la clé pour Milan, je réponds oui. Et puis ils me disent, est-ce que l'apport de Maldini était la clé pour Milan, je réponds oui. Est-ce que l'analyse était la clé pour Milan, oui. Toutes les propositions, vous savez, elles peuvent toutes être vraies.
Je ne sais pas, si vous prenez un élément ou l'autre, est-ce que toutes les choses bonnes qui ont eu lieu auraient eu lieu ? Je ne sais pas, honnêtement. Mais c'était la combinaison de toutes ces choses qui ont créé ces moments spéciaux. Les supporters de Milan l'appellent le Scudetto le plus beau de l'Histoire."
Des plans pour l'avenir ?
Ivan Gazidis : "Je ne sais pas. J'ai une idée qui sera vraiment intéressante. Mais je suis vraiment en train d'être patient avec moi-même. Je pense que le plus important, c'est de permettre que votre cerveau se reposer un peu. Surtout, dans le football, une année est un temps long. Idéalement, ce que je ferais, c'est de me donner le temps nécessaire, mais je peux déjà sentir mes propres impatiences qui m'opposent à ça. Donc, je ne sais pas."