Comme chaque année la DNCG a publié les comptes des clubs de L1. Ceci il y a quelques semaines. Comme chaque année, on a entendu des commentaires après cette publication. Mais comment un néophyte peut-il comprendre ces données ? Quelles conclusions en tirer ? Et maintenant que nous sommes en Ligue 2, on fait quoi ?

Objectif ? Comprendre.

Depuis quelques temps ça me travaille. La relégation ne change rien à cette volonté de comprendre. Au contraire. Comment en est-on arrivé là ? Etre passionné de l'AS Saint-Etienne sans pouvoir analyser les comptes publiés n'était pas concevable. C'est d'autant plus le cas lorsque l'on voit que tout se disloque depuis plusieurs saisons.

Même si nous pouvons parfois nous désoler de ce qu'est devenu le football, analyser l'aspect financier est aujourd'hui évidemment primordial pour comprendre la vie d'un club. J'ai donc décidé de me pencher sur le sujet afin d'apporter un éclairage qui se veut : simple, humble et approfondi. Aucun scoop ici, pas de buzz ou de volonté de nuire. Vous ne trouverez pas d'informations croustillantes mais simplement des données  factuelles. Juste une ambition : comprendre.

Les comptes de résultats des clubs et les bilans sont publiés à la fin de chaque saison. Nous avons collecté les informations diffusées sur les 10 dernières saisons. Chaque chiffre cité ici est publique et accessible. Il a toutefois fallu un travail de fourmis qui a demandé du temps : Collecter et réunir les données sur un seul et même tableur construit pour l'occasion. Il fallait ensuite comprendre et analyser tout cet ensemble. J'ai donc fait appel à une personne compétente pour décrypter cette multitude de chiffres. Si vous maitrisez déjà l'aspect comptable, passez directement à la partie suivante 😉

Comme indiqué, la DNCG publie pour chaque club deux documents : le compte de résultat et le bilan comptable. Si nous devions faire une métaphore simpliste, nous pourrions dire qu'il s'agit respectivement d'une photographie des comptes sur la saison (compte de résultat) et d'un film depuis la création de l'entreprise (Bilan cumulé).

Sur le compte de résultat apparaissent :

  • Les Produits (= les recettes)
    • Droits TV,
    • Sponsoring,
    • Billetterie,
    • Autres produits (principalement merchandising - Vente de maillots etc)
  • Les Charges
    • Masse salariale (dont salaires des joueurs),
    • Amortissement des Mutations. Exemple : J'achète un joueur 6M€ avec qui j’ai signé un contrat de 3 ans, je l'amortis et déclare dans mes charges 2M€ chaque année pendant 3 années.
    • Agents intermédiaires : Commissions versées,
    • Autres Charges : loyer du stade, fonctionnement du centre de formation, et tout ce qui permet au club de vivre au quotidien.

Une fois que les additions sont faites, on compare simplement les plus et les moins. Ce qui nous donne le Résultat d'opérations sans mutation. Le fameux déficit structurel !

On réintègre alors les recettes perçues lors de la vente des joueurs (idem dans le sens inverse avec les achats) et nous avons le résultat financier. C'est la base pour comprendre les comptes. Volontairement nous ne ferons pas la même explication pour le bilan pour ne pas perdre tout le monde en chemin.

(Prêt ?  Place à l'analyse !)

1. La (trop?) forte dépendance aux Droits TV

Entre 2010 et 2016, on observe une hausse régulière de la masse salariale. La courbe suit l'augmentation des droits TV perçus par l'ASSE (cf. graphique ci-dessous) La croissance des droits audiovisuels est essentiellement absorbée par les salaires des joueurs.

Entre 2017 et 2019, fin de l'ère Galtier, la situation sportive se dégrade. La direction prend le pari d'augmenter la masse salariale. Tout en sachant que les droits TV diminuent à cause de la chute des résultats sportifs (moins bons classements finaux).

Un problème structurel est alors introduit avec des contrats onéreux. Le déficit structurel se creuse. Le début de la fin ?

Les dirigeants décident de jouer la carte Puel dès 2019. Objectif : baisser la masse salariale. Ce qui s'observe avec un renversement de tendance à compter de la saison 2020-2021. Les M'Vila, Diony ou encore Perrin quittent l'effectif. Cette tendance s'affirmera encore à compter de l’exercice 2021-2022 avec le grand nombre de fins de contrats dans un mois.

Une gestion « saine » pendant 6 ans, une faillite sportive qui a entrainé une réaction de la Direction provocant un emballement sur les salaires. Un déficit structurel qui se creuse aussi par la baisse brutale des recettes (droits TV). La correction de la situation reste en cours de réalisation avec J.F Soucasse en tant commandant de bord. Une manière de préparer la transition avant une vente devenu indispensable ?

2. Un trou qui se creuse, encore et encore

Le déficit structurel est présent sur les 10 saisons observées. C'est le cas de la grande majorité des clubs de L1. D’abord contenu entre 0 et -15M€, ce trou restait "gérable". Vendre pour 10 millions d'euros chaque saison peut questionner d'un point de vue sportif mais ne met pas l'entité en péril financier.

Le problème est qu'il a explosé au cours des 3 dernières saisons. Pourquoi ? Baisse brutale des recettes comme expliqué plus haut. Ce problème relève la faille du système. Si la vente de la Fofana/Saliba a permis au club de s'en sortir sain et sauf, l’actif joueurs a quant à lui chuté.

La valeur marchande de l'effectif est en baisse sur un marché de transferts qui lui aussi se contracte après la crise du COVID. Hormis les stars, les sommes sont globalement plus faibles.

Les droits TV vont chuter en Ligue 2. De quoi augmenter encore ce déficit structurel ?

Si nous voulions retenir un élément positif nous pourrions souligner que l’ASSE a commencé dès saison 2020-2021 son opération de rationalisation de masse salariale. Dès 2022-2023, cet effort aurait dû s'observer. Mais à quel prix ? Combien de recrue depuis 4 ans ? L'impact sur le sportif aura été important... Fatal ? Oui les Verts on joué et se voit aujourd'hui relégués.

(Vous êtes toujours là ?)

3. Une masse salariale pas toujours maitrisée

Attardons-nous sur les salaires. Excepté lors du dernier exercice connu (20/21), la masse salariale n'a cessé de grimper. Si on observe une période de stagnation entre 2015 et 2018, l'ère Jean-Louis Gasset est ensuite très marquée. A noter qu'on retrouve cette même tendance dans la grande majorité des clubs de L1. Chacun a augmenté les salaires, et ce fut décuplé à l'annonce du jackpot Média Pro. Mais les présidents ont vite déchanté...

Plus inquiétant, on est passé d’une masse salariale qui consomme 61% des recettes (en 16-17), à 97% (en 20-21). Et ceci malgré les efforts consentis pour réduire la voilure ! Véritable indicateur d'alerte financier. On parle d'effet de « ciseau » : les recettes baissent plus vite que les charges (dont la masse salariale).

En Ligue 2, les recettes vont réduire. On estime la chute des droits TV à -50%. Il est plus impératif que jamais de réduire les salaires. Les 14 fins de contrat tombent à pic. Plusieurs contrats pèsent lourd (Khazri, Boudebouz, Kolo), ils devront être remplacés par des contrats moins onéreux.

Le Progrès précisait hier soir qu’aucun plan social n’est prévu pour l’heure.

Il reste l’inconnue CVC : l'AS Saint-Etienne percevra 16,5M€. Selon les premiers échos, il devrait être demandé aux clubs de réserver cet argent au développement du club (infrastructures, centres de formation, etc.). Notons toutefois que Laurent NICOLIN, à la tête du collège des clubs de L1, a déjà répondu qu’il serait impossible de ne pas utiliser une partie des fonds CVC pour l’exploitation.

A côté de cela, une aide de la LFP sera versée aux clubs relégués. 7 à 9 millions d'euros environ. Soit entre 20 et 25 millions d'euros pour limiter la casse. Mais CVC comme cette aide ne tombera qu'une seule saison. Que fait-on après ?

(On tient le bon bout. On s'accroche !)

 

4. 10 ans d’augmentation des recettes sans se consolider ?

Sur 10 ans les recettes du club augmentent constamment. Les Droits TV grimpent, Galtier superforme et ça génère des revenus à la hausse. Les recettes grimpent de +68% tandis que les fonds propres de l’entreprise (qui renseigne sur la solidité des fondations en cas de coups durs à venir) n’augmente « que » de 31%.

Si on veut vulgariser, les capitaux propres c’est le capital de départ augmenté par les bénéfices réalisés et amputé des déficits. Ceci année après année. En gros c’est le trésor de guerre.

Dit autrement, quand l'ASSE a gagné 33,2M€ supplémentaires, elle a augmenté ses capitaux propres de seulement 3M€ ! Une information d'autant plus surprenante lorsque l'on sait qu'il n'y a eu aucun gros déficit d’exercice reporté qui aurait pu entamer ces fonds propres.

Nous pouvons une nouvelle fois observer que les ressources supplémentaires de l'ASSE ont été absorbées par l’exploitation. Autrement dit par les salaires. Le club n’est pas parvenu à conserver une part de ces revenus pour se consolider financièrement...

Notons tout de même que :

  • L’ASSE n’est pas du tout le seul club de L1 dans cette situation. C’est le cas de la majorité des clubs. Ce qui n'excuse rien mais situe le problème dans un contexte plus global.
  • Economiquement, la tendance depuis 2018 est bonne. Malgré la baisse des recettes, les Capitaux Propres se maintiennent.
  • La forte hausse des fonds propres en 2020 s'explique principalement par de nouvelles dispositions exceptionnelles introduite par la Loi de finance 2021 en raison de la situation COVID.

(Une dernière inspiration et on boucle. Promis !)

 

5. L'ASSE, un club endetté ?

Il s'agit d'un vieux serpent de mer. Beaucoup de choses ont été écrites. Un peu tout et n’importe quoi. Précisons.

A plusieurs reprises, la possibilité de voir les Verts relégués administrativement a même été évoqué dans plusieurs médias. Il suffit d'observer les comptes pour se rendre compte que ceci est faux d'un point de vue financier. Sans tomber dans le catastrophisme, creusons cet aspect important.

L’endettement global est passé de 26,7M€ à 69,3M€ en 10 ans. Mais si on regarde de plus près, on s'aperçoit que la dette autre que financière (Dette sociale, URSSAF, etc) a augmenté de 26M€ à 32M€. Pour 20/21, on retrouve une partie de report de charge de l’exercice précédent. Une pratique autorisée pendant le COVID (charges pas intégralement payées en 19-20 reportées sur 20-21).

La dette sociale est plutôt « normale ». A la clôture d’un exercice une entreprise doit toujours de l’argent à l’Etat (URSSAF pour les derniers mois écoulés).

En revanche, ce qui a énormément augmenté c’est la dette financière (emprunts auprès d’institutions financières, banques, etc.). Passée de 5,8M€ en 12-13 à 40,2M€ en 19-20. Le pic semble pourtant passé avec un désendettement financier entamé (36M€ en 20-21).

Encore une fois l'ère Gasset a laissé des traces. Mais il faut apporter de la nuance :

  • La dette financière recule sur 2020-2021.
  • Cet endettement de 69,3M€ en 2020 doit être corrigé à la baisse par la différence entre les transferts à percevoir (28M€) et les transferts encore à régler (6M€) : Une correction de +22M€
  • La dette « nette » est donc de 47,3M€ dont 32M€ de "autres dettes", notamment URSSAF (situation exceptionnelle expliquée plus haut). Donc une dette réelle à surveiller d’environ 15M€.
  • Une dette qui pourrait être gommée totalement en cas de vente si les nouveaux propriétaires font le choix de remettre dans les caisses l’argent pour "l'effacer".

Un club finalement relativement sain ?

Sur les 10 années observées, la situation financière de l'ASSE est relativement saine. Saine dans le sens où aucun déficit n'a été déposé au greffe en 10 ans. Autrement dit, l'AS Saint-Etienne est toujours retombée sur ses pattes. Bien géré ? Un modèle viable ? C'est une autre histoire.

C’est tout l’enjeu des semaines à venir. Bien sûr, l’éventualité d’une vente et de l’arrivée de nouveaux moyens financiers remettra certainement en cause ce modèle. En l’état actuel du club, sans changement de modèle, une rationalisation des dépenses sera indispensable.

C'est d'autant plus le cas en Ligue 2 où les recettes vont fortement diminuées. Il faudra moins dépenser ou recevoir un nouvel apport d'argent. Tout l'intérêt d'une vente du club ...

(Bravo, vous êtes arrivé au bout du périple !)

 

Se serrer la ceinture et demain ?

Bien conscient de l'aspect indigeste du sujet abordé, il est indispensable de comprendre les rouages financiers dans le football d'aujourd'hui.

Il y a eu un impact « immédiat » entre l’augmentation des moyens (salaires, charges sociales et emprunts) sous Jean-Louis Gasset : deux bons classement.

Mais le modèle n'a pas pu être pérennisé car non adapté aux ressources du club. Pire encore il laisse un héritage lourd à digérer (contrats longs et onéreux, mauvais choix, mauvaise gestion)

Par ailleurs, nos constats vérifient l’adage que l’argent ne fait pas tout. Encore faut-il savoir bien l’utiliser. On a gagné plus mais mal dépensé.

Si l’avenir est à la rationalisation des ressources Vs. les produits, l’enjeu sera essentiellement de « mieux utiliser » l’argent. Reconstruire un effectif talentueux tout en contrôlant cette masse salariale. Il faudra continuer d'appuyer les efforts pour minimiser la perte des ressources (merchandising, billetterie, sponsoring). Limiter la dépendance du club envers les Droits TV sera également un enjeu pour l'ASSE.

A l'heure où nous bouclons ces lignes, l'ASSE ne dispose pas d'actionnaires capables de remettre la main à la poche.

Ni Bernard Caïazzo ni Roland Romeyer ne peuvent remettre significativement au pot. Selon les dernières informations du moment, David Blitzer serait disposé à acquérir le club avec une offre global de 80 millions d'euros. Tout le modèle évoqué jusque ici pourrait alors être modifié.

Les Verts n'ont donc d'autres choix que de se serrer fortement la ceinture, bien travailler, recruter malin, pour avoir des résultats sportifs plus glorieux que ces dernières saisons.

En l’état, la marge de manœuvre est faible pour l'AS Saint-Etienne. Trop faible ? C'est une vraie possibilité. D'où la nécessité de vendre le club à des nouveaux actionnaires capables d'apporter de l'argent frais et revoir ce modèle à bout de souffle.

Vente ou non, le chantier sera énorme. Mais il sera toujours plus simple de reconstruire avec des moyens mais également avec des compétences.

 

Ps: Un immense merci à Joss qui m'aura accompagné dans la rédaction de ce pavé. En espérant que cet article soit resté plus digeste que ses chroniques.