L'histoire ne pouvait finalement se terminer que de cette façon. Claude Puel, très tôt, n'a pas apprécié le positionnement de son gardien ni son attitude individualiste au moment où l'équipe luttait pour le maintien. Détrôné de sa place de numéro 1, Stéphane Ruffier est aujourd'hui très proche d'un licenciement pour faute grave si l'on traduit cette mise à pied comme préalable à une mesure aussi radicale. Comment en est-on arrivé là ? Nous tentons de répondre...

"J'avais besoin de me sentir en danger pour performer. C'est ce que je dis aux gardiens que j'entraîne, ils ont besoin de concurrence, même s'ils ne le comprennent pas toujours. Si tu n'en as pas, tu te relâches, et le relâchement est le pire ennemi du professionnel. Si tu te relâches d'1% chaque semaine, à mi-saison tu as déjà perdu 20% du joueurs que tu étais, et du coup tu es un tout autre joueur ! ".

C'est quand on lit ce que Jérémie Janot nous expliquait dans une interview datant de décembre dernier que nous comprenons mieux ce qui a pu motiver Claude Puel à remettre en question le poste de gardien de but à l'ASSE. Installé dans le confort d'un poste de numéro 1 jamais discuté, avec un entraîneur de gardiens arrangeant, très à l'écoute et protecteur en toutes situations, un salaire parmi les plus élevés du club... Stéphane Ruffier évoluait dans un contexte piégeux.

En 9 ans de carrière à l'ASSE, Stéphane Ruffier a battu beaucoup de records dont celui du nombre de rencontres jouées en L1 sous le maillot Vert pour un gardien de but (le record absolu étant détenu par Jérémie Janot avec 386 matches en Vert). Ce n'est pas anecdotique et vient récompenser le parcours d'un joueur forcément performant. A 33 ans, la courbe des statistiques de Ruffier a non seulement atteint son pic mais également déjà amorcé sa chute faisant entrer le gardien stéphanois dans la catégorie des joueurs sur le déclin. Ce n'est pas une attaque, juste un constat. 

Lorsque Claude Puel arrive au club, il souhaite installer des principes de jeu. Il bouscule, pique, donne des consignes voire des ordres à des joueurs qui n'en avaient plus vraiment l'habitude. Face à Bordeaux le 20 octobre 2019, les Verts s'imposent avec un Ruffier performant, cependant, ce match marque le début d'une relation tendue entre le gardien et son entraîneur. A la demi-heure de jeu, une altercation survient entre les deux hommes au sujet d'une phase de jeu. Claude Puel explique après la rencontre : "Tout le monde doit être concerné (par les consignes) que vous soyez un jeune ou un cadre de l’équipe. On doit respecter cela car les matchs se jouent sur les détails"

Un clash qui aboutira quelques mois plus tard à installer Jessy Moulin au poste de numéro en lieu et place de la "légende" Ruffier comme l'a défini son conseiller Patrice Glanz. Le même qui déclarait peu avant que "ça fait des semaines qu'on essaye de trouver un bouc-émissaire. Et le bouc-émissaire, c'est Stéphane.  L'injustice, c'est de lui dire il y a une semaine qu'il est  capitaine et de l'écarter ensuite. Il y a certains joueurs dans certains clubs qui méritent le respect. Claude Puel a eu des problèmes avec dix  joueurs. Il ne s'agit pas de pénaliser mon joueur. Stéphane est catastrophé. Son avenir au club ? On verra. On ne peut pas ne pas réagir. Le message qu'il envoie c'est de dire "je n'ai rien à voir avec tous les résultats, je change de gardien de but". C'est symbolique. Il a tué son  gardien."

Le lendemain, dans un communiqué, l'ASSE annonçait sa "stupéfaction" quant aux "propos outranciers et injurieux tenus par l'agent de Stéphane Ruffier", précisant qu'elle se réservait "le droit d'engager toute action judiciaire qu'elle jugera utile".

On aurait pu s'attendre à ce que Ruffier donne une interview comme l'avait fait Kolodziejczak, également écarté, durant l'hiver. Il aurait pu y éclaircir sa position après les propos déplacés de son agent et se positionner suite à la volonté de Puel d'installer Jessy Moulin numéro 1. Mais Stéphane Ruffier est un taiseux, quelqu'un qui n'aime pas forcément les médias. Le souci est que parfois il faut savoir forcer sa nature afin de ne pas laisser libre cours aux rumeurs et autres faussetés dont les réseaux sociaux et médias se délectent. Mais Ruffier est resté silencieux. Qui ne dit rien consent. Puel a depuis installé Moulin dans les buts de l'ASSE et pas retenu Fabrice Grange, l'entraîneur des gardiens professionnels très proche de Ruffier...

Hier, dans un entretien accordé à L'Equipe, Roland Romeyer, président du directoire de l'ASSE expliquait : "Il ne faut pas oublier qu’à l’origine du problème, c’est un simple choix sportif (il a perdu son statut de gardien n°1 au profit de Jessy Moulin). Personne n’est au-dessus du club et personne ne peut se prévaloir d’un statut de titulaire. Claude (Puel) décide et manage son équipe comme il le souhaite. Pas un entraîneur ne peut dire que je suis intervenu dans le domaine sportif. La procédure engagée la semaine dernière (mise à pied) est appropriée au regard du comportement de Stéphane Ruffier. Il ne faut pas que le football devienne le plus individualiste des sports collectifs. Je suis peut-être un vieux con, dépassé par le monde d’aujourd’hui dans lequel je ne me retrouve plus, mais il faut de la discipline et du respect. C’est comme dans une armée : on suit la décision du général. C’est une question d’intelligence et de bon sens."

Car depuis, Stéphane Ruffier n'a, au vu de l'ASSE, pas adopté l'attitude attendue de la part d'un employé vis-à-vis de son employeur. L'entretien qui a rassemblé hier Xavier Thuilot (directeur général), François-Xavier Luce (directeur administratif), Loïc Perrin (délégué du personnel pour les joueurs) et donc Stéphane Ruffier a été très court. Il est reproché à Ruffier d'être arrivé en retard à une séance d'entraînement et d'avoir refusé de participer à une confrontation à effectif réduit avec la réserve. Le club rendra sa décision dans 24h. Ira-t-elle jusqu'au licenciement ? C'est possible. Triste fin pour Stéphane Ruffier "le joueur", celui qui aura marqué l'histoire du club, quant à Stéphane Ruffier "l'homme", chacun se fera son avis.

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