Le 14 avril 1976, l’AS Saint-Etienne a rendez-vous avec son destin. Elle a la possibilité de se qualifier pour la première finale de coupe d’Europe des Clubs Champions de son histoire. Pour cela, elle doit défendre aux Pays-Bas son avance minime d’un but acquis au match aller à Geoffroy-Guichard (1-0) contre le PSV Eindhoven. 14 avril 1976 : PSV Eindhoven – AS Saint-Etienne 0-0

  

L’AS SAINT-ETIENNE BIEN DECIDEE A VENDRE CHEREMENT SA PEAU

Les Stéphanois se rendent à Eindhoven avec un but d’avance à préserver grâce à leur victoire 1-0 sur un but de Jean-Michel Larqué à la 17e minute à Geoffroy Guichard . On se souvient tous de ce coup franc du capitaine stéphanois qui a terminé sa course dans le petit filet de Van Beveren impuissant. D’ailleurs, on peut se demander si cinq ans plus tard, en 1981, Michel Platini ne s’est pas inspiré de ce joli but pour inscrire son coup franc platinien, la copie conforme, qui a en envoyé l’équipe de France au Mundial 82 en Espagne, face à ce même Van Beveren !

Pour mémoire, vous pouvez revisionner cette demi-finale aller avec notre partenaire ASSE Memories.

A priori, ce résultat place l’équipe stéphanoise dans une position délicate  face à une formation qui a marqué quinze buts en trois matches à domicile lors de cette compétition. Le grand Ajax, lui-même a été balayé 6-2 en championnat quelques semaines auparavant.

Même s’ils s’attendent à souffrir en Hollande, les Verts sont déterminés à vendre chèrement leur peau car contrairement à l’an dernier où ils avaient déjà atteint les demi-finales, ce qui avait suffi à leur bonheur, aujourd’hui ils en veulent plus. La finale à Glasgow leur tend les mains, ils n’entendent pas laisser passer leur chance.

Les pronostics, pourtant, ne leur sont guère favorables surtout si on se rappelle la physionomie du match aller où les visiteurs se demandent encore comment ils ont pu perdre cette rencontre notamment si on se rappelle la seconde période qu’ils ont outrageusement dominé. Johan Cruyff, le stratège hollandais, qui joue désormais au FC Barcelone, n’hésite pas à parier sur une finale probable PSV-Bayern Munich. Et Kees Rijveers, l’entraîneur du PSV, qui a fait le bonheur de l’ASSE dans les années 1950 en tant que joueur, promet l’enfer aux hommes de Robert Herbin pour le match retour.

UNE PREMIERE MI-TEMPS PLEINE DE SUSPENSE ET DE VICE

Effectivement, les Hollandais prennent les Stéphanois à la gorge dès l’entame du match. Les dix premières minutes son suffocantes et Ivan Curkovic est déjà intervenu par trois fois pour garder sa cage inviolée sur des essais de Van de Kerkhof, Edström et Van der Kuylen. A cet instant, on se demande à quelle sauce l’ASSE va-t-elle être dévorée tellement l’ouverture du score semble imminente. Mais le PSV n’a pas prévu de tomber sur un gardien en état de grâce qui met en échec toutes les tentatives locales d’autant plus que progressivement les débats paraissent s’équilibrer.

Eindhoven a peut-être déjà laissé passer sa chance car il ne propose plus désormais qu’un jeu stéréotypé, abusant des grandes balles vers l’avant à destination d’Edström, son géant suédois, 1m 90 et 50 cm de détente sèche. Ce dernier devient l’élément le plus dangereux et Oswaldo Piazza est obligé d’utiliser toute sorte d’expédients pour le neutraliser allant jusqu’à baisser son short sur les coups de pied arrêtés. Sentant le danger, Curkovic a d’ailleurs décidé de s’en occuper personnellement.

Lors d’une sortie aérienne, il percute violemment du coude le visage de l’attaquant suédois. L’a-t-il fait intentionnellement ? Aujourd’hui, on peut honnêtement se poser la question même si le gardien yougoslave a toujours nié avoir voulu le blesser volontairement. En tout cas, complètement sonné, Edström, pas entièrement remis de ce traitement de choc, est obligé de céder sa place à la mi-temps et son remplaçant, le joker de luxe, Darcy, n’aura pas la même influence sur le jeu.

Au contraire, les Verts s’organisent de mieux en mieux et commencent à sortir la tête de l’eau. Sur une talonnade de Hervé Revelli, Dominique Rocheteau assène une frappe limpide qui vient mourir à côté du montant. A son tour, Patrick Revelli expédie un missile qui prend la direction de la lucarne et c’est cette fois Van Beveren qui, au prix d’une belle envolée, est obligé de s’employer pour détourner miraculeusement le ballon.

0-0 à la pause. Tout est encore possible.

IVAN CURKOVIC EN ETAT DE GRÂCE

Dès le retour des vestiaires, le PSV se rue de nouveau à l’attaque mais toujours de manière désordonnée. Des espaces se libèrent et l’ASSE, qui joue toujours aussi intelligemment, espère bien en profiter. A la 49e minute, justement, sur un contre très rapide, Jean-Michel Larqué sert Hervé Revelli. Ce dernier a vu Dominique Rocheteau démarqué, il lui adresse un centre impeccable et « l’Ange vert » ne se prive pas pour fusiller Van Beveren à bout portant. Malheureusement, l’arbitre, Monsieur Taylor, refuse ce but qui paraissait valable pour un hors-jeu peu évident. C’est le tournant du match d’autant plus que Rocheteau doit quitter le terrain peu de temps après, blessé et il doit être remplacé par Christian Sarramagna qui, auteur d’un doublé le week-end précédent, a été étincelant en championnat.

Les Verts pourraient être désarçonnés par ce double coup du sort et, effectivement, ils se sont mis à reculer. C’est désormais avec l’énergie du désespoir que les Stéphanois défendent leur camp coûte que coûte. Ils vont au bout de leur force et de leur souffrance mais le ballon revient inlassablement vers les buts de Curkovic qui heureusement repousse tout ce qui se présente dans son périmètre. Il est invincible. Il commande sa défense à la perfection et malheur à celui qui viendrait à perdre les pédales, il le remet immédiatement sur le droit chemin.

L’horloge n’en finit pas de tourner au ralenti égrainant les secondes et les minutes qui paraissent des heures. 89e minute, Dahlqvist s’échappe, la cage grande ouverte. Il tire et les 22 000 spectateurs retiennent leur souffle, prêts à exploser. Mais Curkovic surgit de nulle part et bloque imparablement le ballon qui reste collé dans ses bras. C’est peut-être la dixième fois qu’il sauve les siens.

À la pendule, les 90 minutes sont dépassées et l’arbitre qui n’intervient toujours pas pour siffler la fin du match. Tous les Verts sont héroïques à défendre leur avantage, solidaires dans l’effort et la démesure. Si l’un d’eux chancelle, un autre est prêt à prendre la relève et vice-versa. Ils ont atteint le paroxysme du sacrifice et du don de soi pour un seul et même objectif : la qualification pour la finale de la coupe d’Europe qui devient une réalité à la 46e minute et 46 secondes.

LE RETOUR A SAINT-ETIENNE ENDEUILLE PAR UN DRAME

Ce sont des milliers de personnes qui attendent les Stéphanois à leur sortie d’avion à l’aéroport d’Andrezieux-Bouthéon. Même Pierre Guichard, le président historique du club, 70 ans bien passés, est venu saluer les joueurs. Inconscients, les supporters se dirigent vers l’avion qui n’a pas encore terminé sa course. Et c’est le drame. L’un d’entre eux est décapité par une hélice. En effet, la tête tranchée, un corps est allongé sur le sol. L’horreur atteint son point culminant lorsqu’on a l’impression que la foule ne semble s’être aperçue de rien, s’apprêtant à fêter ses héros comme il se doit.

Il faut l’intervention énergique de Roger Rocher pour ramener tout le monde à la raison et permettre aux policiers de former une ronde de protection autour du corps. Il s’agit de Joseph Bernard qui aimait le football et admirait les Verts. Ouvrier carrossier, il a laissé trois orphelins, Frédéric qui avait neuf ans au moment de l’accident, Laurence quatre ans et Stéphanie trois ans. Trois enfants pour qui les joueurs stéphanois se sont cotisés afin d’assurer leur avenir.

La fête est terminée avant d’avoir réellement commencé. Les joueurs avaient l’intention de célébrer ensemble leur exploit jusqu’au petit matin mais devant la gravité de la situation le cœur n’y est plus et chacun s’en retourne chez lui avec quand même le sentiment du devoir accompli.

L’Equipe de l’AS Saint-Etienne qui a réalisé cet exploit : Curkovic – Janvion, Piazza, Lopez, Farison – Bathenay, Synaeghel, Larqué – Rocheteau puis Sarramagna (55e), H. Revelli, P. Revelli puis Santini (76e).

Entraîneur : Robert Herbin

Le résumé de cette demi-finale retour est disponible sur ASSE Memories :

Article rédigé par Albert Pilia