Le cas de Victor, que le journal L'Equipe a renommé pour l'occasion, supporter stéphanois accusé à tort d’avoir allumé un fumigène lors d’un match de l’ASSE, illustre les dérives inquiétantes des instances disciplinaires du football français qui semble rendre justice... à l'aveugle !

Un fumigène allumé, un supporter sacrifié. C’est le constat amer qu’ont dressé de nombreux fans de football ces derniers mois, à la suite de décisions jugées arbitraires, voire absurdes, rendues par les commissions de discipline de la LFP et de la FFF. L’affaire Victor, révélée par L’Équipe, est symptomatique d’un système à la dérive.

Un match, un fumigène, une erreur

Tout commence un soir d’hiver, le 12 février 2024. L’AS Saint-Étienne accueille Troyes à Geoffroy-Guichard et s’impose brillamment 5-0. Mais à l’entrée des joueurs, une cinquantaine de fumigènes sont allumés dans les tribunes. Le club, déjà sous le coup d’un sursis, est logiquement sanctionné d’une fermeture de tribune. Jusque-là, rien d’anormal.

Mais l’ASSE va plus loin. Pour espérer l’indulgence de la LFP, le club porte plainte contre plusieurs supporters prétendument identifiés par la vidéosurveillance. Parmi eux, Victor (le prénom a été modifié par le journal L'Equipe), simple spectateur, amateur de foot et licencié dans un club de la Loire.

Alors que la justice innocente, la FFF sanctionne encore davantage !

Convaincue de sa bonne foi, Victor nie toute implication. Mais la machine disciplinaire est déjà en marche. Le 6 mars, il est convoqué devant la commission de discipline… de la FFF. Car en tant que licencié, même un comportement supposé en tribune peut valoir une suspension de licence. Résultat : deux matchs fermes, sans preuve formelle.

Et l’histoire ne s’arrête pas là. Malgré une enquête du parquet de Saint-Étienne qui le met hors de cause (aucune image ne l’incrimine), Victor fait appel. Mauvaise idée. La commission supérieure d’appel (CSA) alourdit la sanction à dix matchs, estimant que l’absence de poursuites pénales ne signifie pas absence de faute disciplinaire. Une logique kafkaïenne.

Le CNOSF rend justice !

Pour couronner le tout, la FFF n’envoie personne à l’audience de conciliation du CNOSF, et ne s’oppose même pas à la démarche. Résultat : le 6 janvier, le Comité national olympique propose l’annulation pure et simple de la sanction. Le rapport est cinglant : mauvaise interprétation des faits, inversion de la charge de la preuve, motivation insuffisante de la décision.

« Ce doute est en outre conforté par la circonstance que ni la CSA, ni la commission de discipline de la LFP ne précisent quels éléments parmi ceux "recueillis au cours de l'examen de ce dossier" leur ont permis d'identifier (Victor) comme le responsable des faits reprochés », précise le rapport.

Des précédents nombreux et inquiétants

Ce n’est pas la première fois que les supporters dénoncent ce système de dénonciation à la carte. Les clubs, pour s’éviter des sanctions collectives (huis clos, amendes), livrent des noms parfois au hasard. En 2018, deux ultras de Brest avaient été blanchis au tribunal pour des faits similaires. Le parquet avait fustigé l’encombrement inutile de la justice. Récemment, les Merlus Ultras de Lorient ont affiché une banderole dénonçant ces pratiques :
« ICS à la carte : un fumigène allumé, un supporter au hasard sacrifié. »

Le président de la commission de discipline, Sébastien Deneux, se défend maladroitement : « On n'a jamais dit aux clubs de dénoncer X personnes. En revanche, au niveau de la commission, on n'est pas du tout en mesure de vérifier si la personne est la bonne. »

En somme, les clubs balancent, les commissions sanctionnent, la justice corrige, et les victimes — comme Victor — trinquent.