Décembre 1962

Quand l’histoire de l’ASSE

se conjugue avec l’histoire de France

Cette semaine, je vais vous parler d’un événement que, peut-être certains d’entre vous ne connaissent pas mais dont on fête néanmoins cette année les 60 ans.

UN TOUT NOUVEAU PRESIDENT

Nous sommes donc en 1962 et depuis un an, officiellement le 21 avril 1961 précisément, Roger Rocher, un jeune dirigeant d’une entreprise de travaux publics stéphanois, est devenu le cinquième président de l’AS Saint-Etienne. Il a succédé au fondateur mythique de l’ASSE, Pierre Guichard, qui était revenu provisoirement aux manettes mais qui, rapidement a désiré passé la main et a désigné un homme entré au conseil d’administration peu de temps auparavant et qui semble avoir l’étoffe pour diriger ce club qui lui est cher.

Cependant, les débuts du mandat de Roger Rocher ne sont guère reluisants. A peine a-t-il été nommé que l’équipe a été reléguée en seconde division un an plus tard en 1962. L’ASSE a certes gagné pour la première fois de son histoire la coupe de France contre Nancy (1-0) en juin mais elle n’a pu éviter une descente cruelle mais logique qui aurait pu faire douter des capacités du nouveau président à tenir ce poste si exposé.

Dans un premier temps, il pense même présenter sa démission à Pierre Guichard. Mais surprise, après cette saison décevante, il est épargné par les critiques des journaux. Mieux encore, le PDG de Casino le soutient publiquement en affirmant qu’il est le seul à pouvoir redresser la situation. Ainsi, Après un légitime moment de découragement, fort de la confiance conservée de la part de Casino, Roger Rocher repart au combat.

 

OBJECTIF LA REMONTEE IMMEDIATE

Le jeune président prend d’emblée une décision importante. Il conserve l’ensemble de l’effectif stéphanois chargé, dès lors, d’assurer une remontée immédiate. Il est vrai qu’en 1962, les joueurs n’ont pas leur mot à dire. Ils appartiennent aux clubs et ne peuvent être transféré qu’avec l’accord de leur employeur qui est le maître de leur destin.

Même si elle est descendue, cette équipe n’a pas été ridicule. Elle était tout de même constituée de 7 internationaux français (Claude Abbes, René Domingo, Jacques Faivre, René Ferrier, Roland Guillas, Robert Herbin et Richard Tylinski) et d’un international hollandais (Rijvers). Elle était capable du meilleur comme de battre Nîmes (5-0) ou Monaco (5-1) ou du pire comme d’être surclassée par Metz (6-0). Surtout, elle a connu 13 défaites par moins d’un but d’écart, ce qui semblent supposer qu’elle avait le niveau même si la descente à l’issue de la saison a été inéluctable.

Une dernière raison explique la décision de Roger Rocher. L’ASSE va connaître une toute nouvelle compétition européenne. Sa victoire en coupe de France lui donne le droit de disputer la coupe d’Europe des vainqueurs de coupe qui existe depuis 1960-61 et dont c’est la 3e édition. Elle se doit donc d’avoir un effectif suffisant, pour sinon briller, au moins faire une bonne figuration.


DECEMBRE 1962, LE RETOUR DU FILS PRODIGUE : RACHID MEKLOUFI

En président avisé, Roger Rocher a déjà tout planifié. A force de persuasion et de nombreux voyages en Suisse, il a obtenu l’accord du retour de l’entraîneur emblématique des Verts, Jean Snella, coach du Servette de Genève mais à une seule condition : que l’ASSE remonte en D1. En attendant, François Wicart, qui avait déjà assuré l’intérim en 1961, aura la charge de ramener l’équipe dans l’élite du football français. Mais ce n’est pas tout, il a décidé de faire preuve d’audace même si pour cela, il doit se mettre en danger. Il veut faire revenir le stratège Rachid Mekloufi.

Le Franco-Algérien a enchanté Geoffroy-Guichard de 1954 à 1958 mais un soir d’avril 1958, il a quitté clandestinement la France pour intégrer une équipe de football algérienne qui a joué à travers le monde pour promouvoir l’indépendance de son pays en pleine guerre avec la France. Considéré comme déserteur, il a été amnistié quatre ans plus tard avec les accords d’Evian qui ont accordé à l’Algérie sa complète autonomie.

Roger Rocher envisage de le faire revenir dans le Forez alors qu’il joue avec Jean Snella au Servette de Genève. Ce n’est pas une mince affaire dans la mesure où la rumeur de son retour se propageant, le président stéphanois est menacé de représailles par des membres de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), groupe terroriste clandestin français proche de l'extrême droite créée pour la défense de l’Algérie française. Elle a d’ailleurs tenté d’assassiner le Général de Gaulle. L’intimidation est réelle : « L’OAS frappe où elle veut, quand elle veut, qui elle veut » mais Rocher ne renonce pas à son projet et le 2 décembre 1962, Rachid Mekloufi foule à nouveau les pelouses françaises avec le maillot vert à Cannes.

Tétanisé par l’enjeu, il n’a pas fait un match extraordinaire. Le véritable test, c’est en fait une semaine plus tard le 9 décembre 1962 quand l’ASSE reçoit Limoges à Geoffroy-Guichard. L’Algérien ne s’est pas échauffé avec ses partenaires et lorsqu’il pénètre sur la pelouse, il reçoit de nombreuses insultes :

  • Bicot, déserteur, assassin !

Roger Rocher n’en mène pas large mais dès son premier ballon, Mekloufi réalise une prouesse technique dont il a le secret et le public admiratif a recommencé à l’applaudir. L’ASSE gagne facilement 4-0 et le milieu de terrain des Verts a ébloui le match de toute sa classe en faisant briller ses coéquipiers. La saga Mekloufi est repartie et il a rajouté 3 championnats de France (1964, 1967, 1968) et une coupe de France (1968) pour l’ASSE jusqu’en 1968, date de son départ définitif du club.

Le dernier match de Rachid Mekloufi avec l’ASSE en vidéo avec notre partenaire ASSE Mémories : ASSE 2-1 Bordeaux - Finale de la Coupe de France 1967-1968