Polo Breitner, spécialiste du football allemand, évoque aujourd'hui sur le blog du Figaro la transaction ratée entre les dirigeants de l'ASSE et PEAK 6. Une analyse sans langue de bois et pleine de bon sens...
"Je suis atterré par l’absence de connaissance et de compréhension des modèles économiques et des contraintes nouvelles liées à la globalisation du ballon rond. Et effrayé relativement par des commentaires populistes, une manière de s'adresser au fans et amateurs comme à des abonnés qui n'ont pas à réfléchir par eux-mêmes, auxquels on délivre des messages assez grotesques. Dans cette histoire comme toujours, il y a un acheteur et un vendeur. Médiatiquement, je n’ai entendu que le vendeur par l'intermédiaire des deux têtes dirigeantes de l’ASSE, chacun nous racontant le pourquoi du comment, nous délivrant ses émotions, nous faisant part de ses états d'âme. C'est un vrai cauchemar, là. Il ne manque plus qu’un rhéteur ou un crieur public de la Rome antique pour expliquer, au jour le jour, l'avancée des tractations ! Lorsqu’on négocie, que je sache, on communique peu, c’est ce que j’ai appris dans les grosses boites françaises pour lesquelles j’ai travaillé. De ce point de vue, les « pros » c’est Peak6, pas les joueurs de tam tam et speakers dans la presse. Cette façon de vouloir se justifier devant la Plèbe et de jouer les indignés permanents...
Quant à l'argumentaire déployé : « on veut sauver les valeurs » -lesquelles ?- « celle d’un club populaire et ouvrier » ? Quelle est la sociologie actuelle des habitants de Saint-Etienne ? Si je me réfère à l’Insee, la part des ouvriers est en nette diminution remplacée par les étudiants, employés, cadres et professions intellectuelles supérieures. Sinon, on peut ressortir le drapeau rouge et monter des barricades, si vous voulez. Autre valeur : « l’image d’un football vertueux qui n'est pas pourri par l’argent » ? On sort les dossiers à quel moment ? On parle des joueurs qui ont mis le bazar à l’ASSE et qu’on a laissé faire car ils avaient une valeur marchande en fin de saison ? Mais de qui se moque-t-on ? Pourquoi s'autoriser à de tels discours surannés et paternalistes ? Avec une part de populisme induit que je trouve assez pitoyable... Saint-Étienne n'est pas une image d'Epinal et le stade ne s'est pas arrêté en 76 ou en 82. C'est un organisme vivant en lien avec une population en mutation. Je veux bien que l'on fasse de la com. mais l'argumentaire a aussi sa place.
En second lieu, je constate l’invraisemblable : les diktats du vendeur. Garder Gasset, la surface financière pour rester dans le Top 5... C’est comme si vous vendiez votre maison puis vous annoncez que « finalement, je reste installé au premier et puis si vous pouviez aussi garder la broderie, ce serait sympa, c’est un souvenir de ma grand-mère ». En face, évidemment, les Américains ne connaissent pas le « business » et sont des peintres ; je rajoute que L’Equipe, sur son site a fait un sondage et qu’il est loin d’être favorable aux propriétaires actuels. Cette « vente manquée » va irrémédiablement laisser des traces car elle a des allures de petit boutiquier beurre œuf fromage. « Felix Potin, on y revient... ou pas ! » Elle n'a pas tenu son rang celui d'un grand club avec des ambitions, un passé, un présent et un avenir.
Enfin, je remarque que beaucoup d’élus se sont exprimés sur le sujet, dans les médias locaux. Idem, on « s’approprie » l’ASSE et on fixe déjà les limites à ne pas dépasser, le « naming », les « valeurs », le « projet Red Bull » ... Ce n’est pas le choc des civilisations mais le choc des cultures qu’on nous ressort. On n’y comprend rien mais ce n’est pas grave, tant qu’on peut flatter l’électorat.
Les gens doivent comprendre que le transfert de Neymar, c’est trois ans de chiffre d’affaires réalisé par l’ASSE. Dans ce monde-là, Bordeaux, Lille, Saint-Etienne, Nice, Strasbourg, Rennes, Nantes ne comptent plus comme le football de l’Est où les petites nations n’existent plus. Le FC Cologne a déjà annoncé 80 millions d’euros de budget prévisionnel en 2Liga suite à sa relégation, autant que l’ASSE. Le plus petit chiffre d’affaires de « Büli » se classerait directement derrière le « gros 4 » français. Pire, à périmètre constant, dans deux-trois ans, la moyenne du CA généré par un club de 2Liga sera l’égal de celui d’un club de L1 si vous enlevez le PSG, l’ASM, l’OL et l’OM. Je me suis égosillé à l’expliquer à certaines personnes du football français, sur le moment, ils sont interloqués mais derrière il ne se passe jamais rien."