C'est un témoignage édifiant que publie ce matin L'Equipe. L'ex-compagne d'un footballeur qui évolue actuellement en L1 raconte les violences dont elle a été victime pendant plusieurs années. Des paroles si fortes que Peuple-Vert.fr a choisi de vous proposer ce témoignage dans son intégralité. Pour rappel, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint...

Revenue de l’enfer conjugal que lui a fait vivre son ancien compagnon, un joueur de football professionnel, « Miriam » raconte le terrible quotidien d’une femme battue.

Début février, « Miriam » (son prénom a été changé) appelle la rubrique football du journal L’Équipe. Elle se présente comme la victime de violences physiques répétées de la part d’un joueur encore en activité, dont elle était alors la compagne. Si, à l’époque des faits, elle n’avait pas eu la force de porter plainte contre lui, elle souhaite désormais témoigner. « J’ai su qu’il avait tapé sa nouvelle compagne, y compris pendant sa grossesse, nous confiet-elle. Je le sais car chaque fois que “Monsieur” (c’est ainsi qu’elle nomme désormais le joueur) la frappait, elle prenait le train pour être hébergée chez son beaupère (le père du joueur), avec qui je suis restée en contact. Je vous ai contactés parce que j’ai peur qu’il finisse par tuer quelqu’un… » Lors de plusieurs rencontres, elle nous livre dans le détail les faits de violences que ce joueur lui aurait fait subir, à elle ainsi qu’à d’autres femmes. Mais après avoir envisagé de témoigner à visage découvert, elle y renonce, du moins pour l’instant. « Je parlerai peut-être un jour à un juge, nous dit-elle. Mais j’ai peur pour mon fils et moi parce qu’il est vraiment dangereux. » En attendant, c’est donc son témoignage anonyme que nous publions, après en avoir vérifié et validé tous les faits qui pouvaient l’être.

« Comment avez-vous rencontré “Monsieur” ?

On s’est connus à (elle nous indique sa ville natale, en Afrique) quand il venait jouer avec l’équipe nationale. Il y a quatre ans, il m’a proposé de venir vivre en France avec lui. Il m’a fait les papiers et je suis venue le retrouver dans la ville du nouveau club où il avait signé. Et on a commencé à vivre ensemble. 

Quand a-t-il commencé à vous violenter ?

Quand je l’ai connu, il était adorable. Mais dès qu’on a habité ensemble, j’ai vu qu’il n’était pas très stable et qu’il était vraiment violent. C’est là qu’il a commencé à me frapper. C’est difficile à croire en le voyant comme ça. Avec moi, il était très jaloux et pouvait changer de personnalité à tout moment. N’importe quoi pouvait déclencher sa violence… Il cherchait toujours un prétexte pour taper. Et ce n’était pas des petites gifles, mais des coups de poing dans le ventre, sur le visage, partout… En plus, je dépendais complètement de lui financièrement, car il refusait que je travaille. Dès que mes copines m’appelaient pour me voir, il pensait qu’elles voulaient me présenter un mec. Il était parano. Je n’avais plus aucune amie. En fait, avec ces hommes-là (violents),vous avez beaucoup de cadeaux, mais vous n’êtes pas heureuse parce qu’ils vous isolent, vous enferment. Et après les coups, ils nient tout. En septembre 2015, par exemple, trois jours après m’avoir violemment frappée, il m’a offert une voiture neuve (elle nous montre les photos), comme si rien ne s’était passé.

Comment expliquez-vous son changement de comportement ?

Il a beaucoup changé à cause de l’argent. Il est devenu arrogant, ne respectait plus personne, se croyait tout permis. Petit à petit, tous ses amis se sont éloignés de lui. Même sa “tante” (en fait, la mère du meilleur ami d’enfance du joueur) a été choquée par son changement d’attitude. Pourtant, à l’époque où “Monsieur” évoluait dans un centre de formation français et que son père, qui lui aussi frappait ses compagnes, le foutait à la porte de la maison, elle le recueillait chez elle. Il l’écoutait beaucoup. Aujourd’hui, il ne lui parle plus. 

Il vous frappait souvent ?

Cela arrivait parfois trois fois en un mois. Une fois, il m’a dit : “Viens, on va faire un tour en voiture.” En fait, en pleine crise de jalousie, il voulait que je lui donne mon mot de passe Instagram. Comme je refusais, sur une route pleine de virages, il s’est mis à accélérer jusqu’à plus de 200 km/h, a décroché ma ceinture de sécurité en bloquant le loquet avec sa main. J’ai eu une crise de panique dans la voiture. Une autre fois, en avril 2015, j’ai perdu connaissance. On était en vacances à Paris dans un hôtel proche de la gare de Lyon, et il m’a frappée dans la chambre. Quand je me suis réveillée après ses coups, il était assis à côté de moi. Le réceptionniste de l’hôtel a tapé à la porte et lui a dit : “Monsieur, on va appeler la police, les voisins se plaignent.” Mais, comme toujours, il leur a répondu sur un ton agréable : “Mais non, c’est rien, ma femme a juste fait une crise de jalousie.” Et, à chaque fois, on le croyait. Pourtant, quand j’ai repris connaissance, je n’arrivais plus à respirer. À l’hôpital Salpêtrière, l’infirmier a tout de suite compris. J’avais beaucoup d’ecchymoses sur le corps, mais comme “Monsieur” était présent, vu que c’était toujours lui qui m’amenait à l’hôpital, j’ai déclaré que j’avais été agressée par un tiers. L’infirmier l’a fait sortir, a glissé dans ma main un document où il avait écrit que j’étais très mal en point, et m’a dit : “Si vous vous décidez à porter plainte, déposez ce document à la police.” Je l’ai gardé pendant un an, jusqu’au jour où il a déchiré tous mes papiers.

Vous a-t-il violenté sexuellement ?

Oui. Quand il me voyait pleurer après m’avoir tapée, il se rapprochait de moi, me demandait pardon, puis me forçait à faire l’amour. Je me débattais, mais je pense que ça l’excitait. Quand c’était fini, je continuais à pleurer dans mon coin.

Pourquoi n’avez-vous jamais porté plainte contre lui ?

Je refusais toujours de porter plainte parce que j’étais très amoureuse de lui et que je voulais le protéger, lui et son football. J’espérais qu’il changerait, qu’il m’épouserait, qu’il me ferait un enfant… Donc, quand je saignais du nez ou de la bouche après ses coups de poing, je disais par exemple aux infirmières que j’étais tombée dans la baignoire. Pourtant, il m’a fait subir tellement de choses... Aujourd’hui, je réalise que j’aurais pu mourir.

Les policiers ne sont-ils jamais intervenus ?

Les policiers sont venus plusieurs fois chez nous à cause des plaintes des voisins et ils m’ont vue dans de sales états. Mais, dans cette ville-là, ils sont très accommodants. Ils me demandaient toujours mon autorisation pour embarquer “Monsieur” et comme je disais toujours non, ils me répondaient : “La prochaine fois, on l’embarque.” Mais ils ne l’ont jamais fait.

À défaut de porter plainte, n’avez-vous jamais eu envie de fuir ?

Si, en novembre 2015. Mais je me suis rendu compte que j’étais enceinte. Du coup, il a appelé sa “tante” en lui disant qu’il avait peur que j’avorte et que je rentre au pays, et en lui jurant qu’il allait changer. Sa propre mère et la mienne m’ont appelée, en me disant : “Vous allez avoir un enfant, peutêtre qu’il va changer, donc laisse tomber l’histoire des violences.” J’ai dit O.K. et je suis restée avec lui. À chaque fois, je voulais partir, mais je revenais vers lui. Mais c’est aussi parce qu’il était versatile. Il pouvait être charmant, gentil, faire tout ce que je voulais, m’offrir plein de choses, me demander pardon. Et la minute d’après, il redevenait violent. Il me faisait plaisir, puis me tabassait, puis me disait soudain : “Je veux te faire un enfant”, puis il ne me supportait plus une fois enceinte, puis il me tabassait à nouveau… Je ne savais jamais quand ça allait tomber, donc j’étais toujours en stress. Je suis même devenue un peu hystérique, je ne me reconnaissais plus. Mais je me suis dit que j’allais attendre d’accoucher dans de bonnes conditions, et qu’après je partirais.

Il ne vous a jamais frappée en public ?

Si. En février 2016, j’ai vraiment décidé de le quitter. J’ai fait mes valises et je suis partie à la gare pour prendre un train et fuir. Il est arrivé et, devant tout le monde, il a vidé mes valises par terre. J’étais enceinte de quatre mois et il m’a mis plusieurs claques. Malheureusement pour lui, les caméras de la gare l’ont filmé. Moi, je pleurais et je le poursuivais pour récupérer mon portemonnaie. Quand je suis revenue, plusieurs policiers m’ont entourée et dit : “Madame, vous allez bien ? On a vu qu’il vous a tapée et on l’a reconnu.” J’ai quand même répondu : “Non, non, ce n’est pas lui.” Pendant quarante-cinq minutes, ils ont essayé de me convaincre de témoigner contre lui, mais je ne voulais rien dire. Donc l’affaire a été passée sous silence.

Et son club n’a jamais été alerté ?

Non, ses coaches successifs et ses coéquipiers n’ont jamais rien vu de son comportement violent car, à l’extérieur, “Monsieur” est réservé et timide. Quand il part à l’entraînement, il est droit, normal et n’entretient aucun lien avec ses coéquipiers. D’ailleurs, on n’allait jamais dans les soirées. Il s’entraînait, il jouait, il rentrait. Quand vous le voyez “au travail”, vous ne pouvez pas deviner qui il est vraiment.

À votre connaissance, avait-il eu un comportement violent avec d’autres femmes avant vous ?

Oui. À l’époque, il avait déjà un enfant avec une autre fille, qui vivait dans une de ses grosses maisons. En fait, j’ai fini par réaliser qu’il menait une double vie avec elle (elle nous montre la photo de cette femme sur Instagram). Un jour, entre mars et avril 2016, alors que j’étais enceinte de plus de cinq mois, il me dit : “Je vais voir le petit.” Puis plus de nouvelles pendant des heures. En fait, il avait été arrêté par la police après avoir tabassé la mère de son fils. Comme elle s’était évanouie à l’arrivée du Samu, les ambulanciers ont appelé la police qui a embarqué “Monsieur” au poste. Je suis devenue folle. Il voulait que j’appelle son avocat. Mais, comme lors de nos disputes violentes, il finissait toujours par casser mes téléphones (elle en changeait régulièrement en perdant parfois des numéros au passage), je ne trouvais plus le numéro de l’avocat. J’ai fini par le joindre et on s’est dit tous les deux qu’il ne fallait pas que le club soit mis au courant de sa garde à vue. L’avocat a convaincu la fille de retirer sa plainte. J’ai entendu dire que “Monsieur” lui avait donné de l’argent. Le lendemain, il est ressorti du poste et le club n’a rien su, car on a nous-mêmes justifié son absence de vingt-quatre heures par un problème de famille. 

A-t-il finalement cessé de vous frapper quand votre enfant est né ?

Début juin 2016, un mois avant l’accouchement, il m’a dit : “Je suis allé voir mes pasteurs, ils m’ont dit que l’enfant que tu portes n’était pas le mien !” Il l’avait pourtant reconnu à la mairie quatre mois avant la naissance (elle montre l’extrait de naissance avec les noms des deux parents). Mais il y a tellement de filles qui veulent faire un enfant dans le dos à un footballeur qu’il s’est peut-être soudain mis ça dans la tête. Comme je le sentais très énervé, je suis allée me réfugier chez une connaissance. Plus tard, elle m’a raccompagnée chez moi. Quand j’ai ouvert la porte, “Monsieur” était là, avec la mère de son fils et un copain. Il était là pour me mettre à la porte de l’appartement (qu’il louait pour elle). Là, il a foncé sur moi et a commencé à me tabasser. Mon amie voulait m’aider, mais le copain de “Monsieur” l’en empêchait. Je lui criais : “Tu vas tuer l’enfant ! Tu vas tuer l’enfant.” Mais il répondait : “Je m’en fiche, ce n’est pas mon enfant.” Quand ils sont partis, une ambulance m’a amenée à l’hôpital. À mon retour, le lendemain, il avait mis toutes mes affaires dans des sacs-poubelles et déchiré tous mes papiers (elle nous montre les photos). Moi, je ne connaissais personne et j’allais accoucher dans un mois. Heureusement, une autre de ses tantes m’a accueillie. L’enfant est né dans un hôpital près de chez elle (dans une autre ville française). Aujourd’hui, il dit que cet enfant n’est pas son fils, mais il refuse de faire le test ADN. Mon avocate me dit que la procédure de reconnaissance de paternité aboutira(enclenchée en décembre 2017). Mais je n’ai plus envie. J’abandonne. Je ne veux plus que “Monsieur” ait le moindre rapport avec mon fils et moi. Je vais retourner chez mes parents (en Afrique) avec le petit et essayer de me reconstruire. »