On le sait, Boubacar Sanogo a décidé de se battre sur le terrain de la justice (à défaut de l'avoir fait sur les pelouses) avec l'ASSE. Si en première instance, le club avait été condamné à une forte compensation financière, on apprend ce jour dans avosports.fr qu'un verdict a été rendu le 7 mai 2015. Ce dernier ne va pas tout à fait dans le sens de Boubacar Sanogo, c'est le moins que l'on puisse dire ! Alors que l'ASSE devait verser 900 000€ en première instance, ce ne se "plus que" 650 000 euros qui le seront. Et le tribunal n'a pas donné suite aux nombreux millions d'euros réclamés par le joueur Ivoirien... Ci-dessous une copie du jugement à lire en intégralité car véritablement intéressant !
Le 19 août 2009, monsieur Boubacar SANOGO a signé un contrat de travail à durée déterminée, d'une durée de trois ans, avec la SA ASSE Loire, en qualité de joueur de football professionnel.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 janvier 2012, monsieur SANOGO a été convoqué à un entretien préalable pour une rupture anticipée du contrat de travail pour faute grave.
Les parties ont été convoquées devant la commission juridique de la ligue du football professionnel laquelle, le 21 février 2012, a constaté la non conciliation.
Le 1er mars 2012, l'ASSE Loire a notifié à Monsieur SANOGO la rupture du contrat de travail.
Le 6 mars 2012, la commission juridique de la ligue de football a enregistré cette rupture, et dit que monsieur SANOGO était libre de s'engager dans le club de son choix.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mars 2012, monsieur SANOGO a saisi le conseil de prud'hommes, pour voir dire que la SA ASSE Loire avait commis des faits constitutifs de harcèlement moral, et, à titre subsidiaire, pour voir dire qu'elle n'avait pas exécuté de bonne foi le contrat de travail.
Il demandait que sa rémunération brute mensuelle soit fixée à la somme de 151 503, 10 euros, et réclamait des dommages et intérêts pour préjudice moral lié au harcèlement, des dommages et intérêts pour préjudice de carrière, des dommages et intérêts pour échéances dues jusqu'au terme du contrat, des dommages et intérêts pour préjudice moral du fait de la rupture du contrat.
Par jugement du 24 février 2014, le conseil de prud'hommes de Saint-Étienne a fixé la rémunération mensuelle de monsieur SANOGO à la somme de 151 503, 10 euros, a dit que la rupture du contrat ne reposait pas sur une faute grave, a condamné la société ASSE Loire à verser à monsieur SANOGO les sommes de :
- 606 012, 40 euros à titre de dommages et intérêts pour les échéances dues jusqu'au terme du contrat,
- 303 006, 20 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral lié aux circonstances de la rupture du contrat de travail,
- 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Non satisfait par ce jugement, monsieur SANOGO a interjeté appel devant la Cour d’appel de Lyon pour tenter d’obtenir les sommes suivantes :
- 1 818 037,20 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié au harcèlement moral, et/ou à l'inexécution de bonne foi du contrat de travail,
- 4 998 111, 60 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de carrière,
- 606 012,40 euros à titre de dommages et intérêts pour les échéances dues jusqu'au terme du contrat de travail,
- 303 006,20 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié aux circonstances de la rupture,
- 25.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Il exposait qu’en cours de contrat il avait été mis au placard pour être placé dans un groupe dit « loft » composé d’indésirables, ce qui avait gravement nuit à sa carrière professionnelle et empêché la signature de contrats à Monaco ou Auxerre.
Il contestait le licenciement dont il avait fait l'objet et soutenait que l'attitude adoptée à son égard par le club caractérisait un harcèlement moral, alors qu'il était mis à l'écart du groupe professionnel, qu'il avait été affecté dans un second groupe d'entraînement où il était resté toute une saison, la dernière année du contrat, indiquant qu'il avait interdiction de se rendre dans les vestiaires professionnels, d'utiliser le parking du club, qu' il n'était plus invité aux matchs, ni convié au petit déjeuner du club, que son numéro avait été attribué à un autre joueur, qu'il ne figurait pas sur la photo officielle du club.
Il ajoutait par ailleurs que les déclarations des dirigeants et de l'entraîneur à son encontre avaient été humiliantes, faisant référence à diverses interviews, et faisant état d'une dégradation de ses conditions de travail ayant porté atteinte à sa dignité, et compromis son avenir professionnel.
Il rappelait enfin que sa mise à l'écart et sa mise en cause publique avaient eu pour effet de déclencher la colère des supporters à son encontre.
À titre subsidiaire, il sollicitait qu'il soit constaté que son employeur n'avait pas exécuté de bonne foi le contrat de travail, en tentant de le forcer à quitter le club avant le terme de celui-ci, en l'écartant de l'équipe professionnelle, et en le mettant publiquement en cause, considérant ce comportement comme fautif.
En défense, l'ASSE Loire demandait que le jugement soit infirmé, en tant qu'il avait déclaré que la rupture du contrat de travail ne reposait pas sur une faute grave, et sollicitait qu'il soit dit que la rupture du contrat de travail de monsieur SANOGO reposait sur une faute grave.
Le Club indiquait avoir cherché, à l'issue de la saison 2008/2009, à recruter un joueur évoluant au poste d'attaquant, et avoir ainsi engagé monsieur SANOGO pour une durée de trois saisons sportives, par contrat de travail du 19 août 2009, alors que ce dernier évoluait dans le club allemand du Werder de Brême, ayant versé une indemnité de transfert de 4 200 000 euros.
Il rappelait que, pour la saison 2009/2010, monsieur SANOGO s'était blessé à quatre reprises lors de séances d'entraînement, cumulant 154 jours d'arrêt de travail et 188 jours de soins, et ayant participé à 17 matchs du championnat de France professionnelle ligue 1. Il indiquait qu'au cours de la saison 2010/2011, il avait de nouveau fait l'objet de nouvelles blessures, cumulant 137 jours d'arrêt de travail et 276 jours de soins, et participant à 13 matchs du championnat de France professionnelle ligue 1.
Il ajoutait que, compte tenu de ses très faibles performances sportives sur les saisons précédentes, et du recrutement de nouveaux éléments à vocation offensive, il lui était apparu difficile de garantir à monsieur SANOGO une place de titulaire indiscutable dans l'équipe professionnelle, que dans ce contexte avait été envisagée conjointement une mutation dans un autre club, que monsieur SANOGO avait décliné toutes les offres reçues, y compris celles de l'AS Monaco, où lui était proposé un salaire de 1 000 000 euros par an.
Il estimait, en conséquence, avoir rempli ses obligations durant toute cette période, à savoir permettre à l'intéressé de s'entraîner, organiser la participation de compétitions sportives, lui avoir assuré un suivi médical complet, et lui avoir réglé son salaire.
Il soutenait enfin avoir été contraint d'envisager la rupture du contrat, après que monsieur SANOGO ait tenu à son encontre, le 10 janvier 2012, dans le magazine sportif le '10Sport' des propos insinuant qu'il était victime de mensonges, de manipulations, et d'un manque de respect des dirigeants du club.
Sur le harcèlement moral et/ou l'exécution déloyale du contrat de travail, la Cour rappelle tout d’abord que conformément à l'article 507 de la charte du football professionnel, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, suite à modification en 2011, les clubs devaient permettre aux joueurs sous contrat professionnel de participer aux entraînements collectifs, avec le ou les groupes de joueurs composant le ou les groupes professionnels, et aux entraînements individuels, leur donner les moyens de s'entraîner pour leur permettre d'atteindre ou de conserver un niveau de condition physique suffisante à la pratique du football professionnel en compétition.
Cet article précisait que, dans l 'hypothèse où un second groupe d'entraînement serait constitué, il devait être composé d'un minimum de 10 joueurs sous contrat professionnel, élite ou stagiaire pour les clubs de ligue 1 et de 8 joueurs sous contrat professionnel, élite ou stagiaire pour les clubs de ligue 2, et que les conditions de préparation et d'entraînement des joueurs professionnels de ce second groupe devaient être les suivantes :
- L'accès aux vestiaires éventuellement différents mais de qualité identique,
- La fourniture des équipements prévus pour tous les joueurs professionnels,
- L'accès aux soins médicaux éventuellement différents mais de qualité identique,
- Des horaires d'entraînement compatibles avec les autres conditions de préparation et d''entraînement du groupe principal des professionnels ainsi que respectueuses de la santé des joueurs,
- L'accès à des entraînements encadrés par un entraîneur titulaire d'un diplôme fédéral sous le contrôle de l'entraîneur titulaire du DEPF ou du CF.
Les dispositions de cet article, insérées dans un paragraphe "gestion de l'effectif", étaient destinées à réorganiser les entraînements, avec pour objectif d'assurer la cohérence du travail sportif, cette appréciation relevant du seul pouvoir de direction de l'employeur, et ne devaient pas entraîner de modifications substantielles dans le contrat de travail.
La Cour constate que monsieur SANOGO avait été placé en arrêts de travail régulièrement lors de son arrivée au club à la suite de blessure à répétition.
Pour la Cour, le fait que le club, en application de l'article 507 susvisé, dans sa rédaction alors applicable, ait décidé, après avoir par ailleurs proposé au joueur son transfert dans un autre club, situation refusée par lui, de l'affecter dans le groupe d'entraînement 2 ne saurait caractériser un harcèlement moral :
« Qu'en effet, les difficultés de santé multiples rencontrées par monsieur SANOGO, ayant conduit à de nombreuses interruptions de travail, pouvaient justifier la mise en oeuvre de mesures lui permettant une remise en forme progressive. »
(…)
Attendu par ailleurs qu'il n'est nullement démontré que cette affectation dans le groupe 2 était décidée à titre définitif, jusqu'au terme de son contrat, ce alors qu'un autre joueur, Bayal SALL, également affecté en groupe 2, a par la suite été réintégré en groupe 1. »
(…)
Attendu que tout en soutenant avoir été dévalorisé par le club auprès de ses coéquipiers, monsieur SANOGO n'apporte aucun élément pour confirmer ses dires.
Que s'il est effectif que ses supporters ont fait preuve de vindicte à son égard, il n'est pas démontré que cette situation puisse être imputée à l'ASSE Loire.
Attendu que ces éléments pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral qui aurait altéré la santé de l'intéressé ou sa carrière professionnelle, ce sur quoi il ne fournit aucun élément.
(…)
Attendu enfin que les propos tenus par les dirigeants du club dans la presse sportive, alors qu'ils étaient interrogés sur la situation des joueurs affectés en groupe 2, ne sauraient, concernant SANOGO, caractériser une exécution déloyale du contrat, les réponses fournies témoignant essentiellement de la difficulté financière du club, tenu de verser un salaire pour un joueur qui ne pouvait plus, au regard de ses problèmes de santé depuis deux années, répondre aux attentes placées en lui.
Qu'au regard de ces éléments, le jugement déféré sera confirmé, en ce qu'il a débouté monsieur SANOGO de ses demandes tant au titre du harcèlement moral qu'au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail. »
Sur la rupture du contrat de travail, la Cour constate, comme les premiers juges, que l’ASSE a manqué à son obligation de motiver la lettre de convocation à l’entretien préalable tel que cela est prévu à l’article 615 de la charte de football professionnel.
Cette charte, qui a valeur de convention collective, priment sur celles du code du travail, et doivent, selon la Cour, trouver application en l'espèce, « alors qu'il apparaît effectivement que la lettre de convocation à l'entretien préalable ne comporte aucune référence aux griefs :
« Que cette obligation de motiver la lettre de convocation à l'entretien préalable constitue une garantie de fond conventionnelle.
Qu'en l'absence de respect de cette disposition, situation qui n'a pas mis le joueur en mesure de préparer cet entretien préalable, au regard des griefs retenus à son encontre, il convient de considérer que la rupture du contrat de travail n'est pas justifiée, sans examiner plus avant les griefs invoqués dans la lettre de rupture.
Que dès lors, par substitution de motifs, la décision déférée sera confirmée. »
Sur l'indemnisation, la Cour estime que c’est à bon droit que les premiers juges ont accordé à monsieur SANOGO, par application des dispositions de l'article L 1243-4 du code du travail, des dommages intérêts d'un montant égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme de son contrat, soit la somme de 606 012, 40 euros, correspondant aux 4 mois de salaires couvrant la période de la rupture jusqu'au terme du contrat.
En ce qui concerne les sommes sollicitées par le joueur au titre du préjudice moral subi à la suite de la rupture de son contrat, et aux circonstances brutales de celle-ci (souhait de monsieur ROMEYER de faire des économies de salaire, procédure non respectée, humiliation publique…), la Cour rejette ces demandes financières, « alors que le harcèlement moral et l'exécution déloyale du contrat de travail ne sont pas établis ».
Le montant des dommages-intérêts alloués au joueur du fait de son préjudice moral est ramené à la somme de 50.000 euros (303 006, 20 euros en première instance).