Comme chaque semaine, Albert Pilia, notre historien maison, nous rappelle un épisode de la Légende des Verts. Le 18 juin 1972, dans un anonymat complet, le Yougoslave Ivan Curkovic pose ses valises à Saint-Etienne où il doit devenir le futur gardien de l’ASSE. 51 ans après, retour sur l’arrivée d’un joueur qui allait bouleverser l’histoire des Verts.

IVAN CURKOVIC, UNE REFERENCE EN YOUGOSLAVIE

Ivan Curkovic est né le 15 mars 1944 à Mostar (Bosnie). Bien que de catégorie sociale modeste, ses parents lui ont donné une éducation axée sur les valeurs humaines et l’importance du mot travail. Alors qu’Ivan semble destiné à devenir joueur de football professionnel en tant que gardien de but (il signe son premier contrat le 15 mars 1960 au Velez Mostar le jour de ses 16 ans) son père exigera qu’il termine ses études d’architecture. Accessoirement, ce dernier lui procure également un emploi d’été dans le bâtiment et Ivan se retrouve employé dans la construction du futur stade dans lequel il évoluera en tant que titulaire.

Après des débuts remarqués lors de la saison 1960-61 (il joue dix rencontres successives), il doit céder sa place à son remplaçant plus expérimenté. Cette rétrogradation aurait pu le déstabiliser, elle lui a surtout permis de repartir de l’avant et en avril 1961, il rentre à la mi-temps du match contre le Partizan Belgrade.

Les critiques élogieuses de la presse malgré la défaite le consacrent alors définitivement. Sa progression est constante. D’abord international junior, il est sélectionné dans la grande équipe de la Yougoslavie puis pour les Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. A cette occasion, il rencontre la Hongrie, futur vainqueur de l’épreuve où évolue un dénommé Karoly Palotaï, qu’il retrouvera en 1976, en tant qu’arbitre, un certain 12 mai 1976.

Cette même année, il est transféré au Partizan Belgrade où il est en concurrence avec Milutin Soskic, cinquante fois international, ce qui ne l’empêche pas d’être régulièrement titularisé. Malheureusement, il n’est que remplaçant lors de la finale de la coupe d’Europe des Clubs Champions 1966 perdue contre le Real Madrid alors même qu’il est sélectionné pour la Yougoslavie la semaine suivante contre la Tchécoslovaquie.

Après le départ de Soskic pour Cologne, il devient le titulaire à part entière et bénéficie de l’arrivée de Stjepan Bobek, un entraîneur monumental. Avec Anta Skovic, entraîneur des gardiens, il façonne un goal répondant aux exigences du football moderne. Curkovic devient alors un joueur complet, sorte de premier arrière de la défense, qui devient une référence dans son pays jusqu’à ses vingt-huit ans où il peut alors proposer ses services à l’étranger comme le règlement lui le permet.

 

CURKOVIC A L’EMBARRAS DU CHOIX

Plusieurs clubs importants sont intéressés pour recruter un élément aussi expérimenté. Le Sporting Lisbonne, Hanovre, Brême, le Herta Berlin ont entrepris des démarches en vue d’un transfert. Bastia a été celui qui a été le plus proche de l’enrôler puisque les dirigeants français avait signé un protocole d’accord avec le Partizan pour un prochain transfert de Curkovic sur l’île de Beauté. Puis Saint-Etienne s’est manifestée par l’intermédiaire de Pierre Garonnaire.

De son côté, Ivan doit résoudre plusieurs dilemmes avant d’accepter de s’expatrier. Le premier, et non des moindres, est de dire adieu à toute sélection nationale et la possibilité de jouer une coupe du monde alors qu’en 1971, il est au sommet de son art. Le deuxième est de refuser un contrat en or que lui propose le Partizan, une offre qui n’avait jamais été faite auparavant pour un gardien de but. Le troisième est de pouvoir choisir sa destination alors que tous les clubs lui proposent à peu près des conditions similaires.

Finalement son choix se porte sur Saint-Etienne, conseillé par son ami Vladimir Durkovic qui lui a vanté les mérites des Verts plutôt que Bastia qui a eu l’outrecuidance de négocier avec un autre gardien yougoslave, Pantelic. Curkovic a également apprécié les attentions stéphanoises notamment après sa blessure, une fracture de la mâchoire, qui aurait pu rebuter pas mal de candidats.

 

UNE ARRIVEE A SAINT-ETIENNE DANS LA DISCRETION

Ivan Curkovic débarque à Saint-Etienne le 18 juin 1972 et il faut croire qu’à cette époque l’AS Saint-Etienne avait vraiment des soucis pour accueillir ses nouveaux joueurs car comme pour Salif Keita ou Osvaldo Piazza, il n’y avait personne pour l’attendre à son atterrissage. Seul, sans sa femme et ses deux filles restées en Yougoslavie, il s’installe dans une ville qu’il ne connait pas et qui d’un premier abord, semble peu accueillante même s’il va apprendre à l’aimer.

Il retrouve ses partenaires le lendemain et il part immédiatement en stage où il fait chambre commune avec Aimé Jacquet qui le prend sous son aile. C’est d’ailleurs ce dernier qui est chargé de lui annoncer, trois jours après son arrivée, alors que le Yougoslave ne parle pas un mot de français, l’assassinat de Durkovic abattu par un policier ivre en Suisse.

À l’occasion de son premier match amical contre les Suédois d’Avitaberg, l’ASSE l’emporte 3-2 et Curkovic arrête même un penalty, mais manifestement son entente avec la défense stéphanoise qui pratique un marquage de zone, tactique qu’il n’apprécie guère, n’est pas parfaite au point de susciter un commentaire peu élogieux de la part de Roger Rocher qui adresse à Pierre Garonnaire un laconique « alors c’est ça Curkovic ?».

Pour travailler au plus vite ses automatismes et s’intégrer avec son équipe, Curkovic s’oblige à apprendre vingt nouveaux mots de français par jour. Et ce qu’il ne sait pas exprimer oralement, il le traduit à l’aide de croquis qui lui permettent de mieux se faire comprendre de ses défenseurs.

Rapidement, il démontre une volonté à toute épreuve et un caractère en acier trempé. Il attire alors tous les suffrages car en bourreau de travail, il s’astreint à des séances d’entraînement herculéennes.

Il devient naturellement un des principaux relais d’un nouvel entraîneur, Robert Herbin, qui débute dans la fonction et il contribue par son implication et sa motivation à fabriquer cette équipe qui, après une première saison 1972-73 de transition, va dominer le football français.

Visionnez ce reportage exceptionnel sur Ivan Curkovic que vous pouvez retrouver chez notre partenaire ASSE Memories :