La présentation des cinquante meilleurs joueurs de l’histoire de l’ASSE continue. Après vous avoir exposé les portraits des joueurs situés de la 21e à la 50e place par ordre alphabétique, nous vous révélons désormais ceux qui sont situés de la 20e à la première place. Cette fois-ci, ils seront publiés dans l’ordre décroissant. Après le 16e, Osvaldo Piazza, place au 15e !

BERNARD BOSQUIER
(209 matches, 22 buts de 1966 à 1971)
LE MEILLEUR JOUEUR FRANÇAIS DES ANNEES 1960

FOOTBALLEUR PROFESSIONNEL PLUTÔT QUE DESSINATEUR INDUSTRIEL

Bernard Bosquier est né le 19 juin 1942 à Thonon-les-Bains mais il a passé l’essentiel de son enfance à Alès. Très tôt, il a baigné dans une atmosphère où le football était roi puisque son père et ses deux oncles ont été footballeurs à l’Olympique Alésien même s’ils n’ont pas pu percer. Bernard a reçu sa première paire de chaussures à crampons à l’âge de trois ans, faite spécialement pour lui par un cordonnier, preuve de l’importance de ce sport dans la famille Bosquier. A neuf ans, naturellement, il s’inscrit à l’école de football d’Alès où bien vite il se fait remarquer.

A douze ans, il termine 13e du concours national du plus jeune footballeur qui se déroule à Paris et sa voie semble toute tracée. Parallèlement, il entame des études de dessinateur industriel qui l’amène à intégrer à quinze ans un cabinet d’architecte pour parfaire sa formation. Longtemps entre les deux, son cœur balance. D’ailleurs, après avoir débuté avec les professionnels d’Alès à l’automne 1959 à Troyes à l’occasion d’un match de seconde division (pour une victoire 2-0 avec son premier but à la clé par une température de -13°C), il intègre l’équipe de Sochaux plutôt que celle de Nîmes parce que les Francomtois lui promettait une place de dessinateur dans les ateliers Peugeot.

Il passe cinq ans à Sochaux, d’abord en tant que stagiaire puis en comme joueur professionnel. Cette période est entrecoupée par son service militaire qu’il effectue au bataillon de Joinville. Il y rencontre les lyonnais Nestor Combin et surtout Fleury Di Nallo avec lequel il a un accrochage mémorable. Bernard est sergent et chargé d’organiser les corvées de sa chambrée. Arrive un vendredi, et c’est le tour de Di Nallo de s’y coller. Ce dernier, fort de son statut d’international français, refuse tout net de se plier à la discipline collective. Bosquier ne cède pas et usant même de la force physique, il l’oblige à effectuer sa corvée. Par la suite, les affrontements entre Bosquier et Di Nallo, dans le cadre des derbies ASSE-Lyon, ont toujours été engagés. On comprend mieux pourquoi !

A L’ASSE POUR GAGNER DES TITRES

A l’issue de la saison 1966, Bernard Bosquier est transféré à l’AS Saint-Etienne qui a fait des pieds et des mains pour acquérir ce joueur de niveau international, ce dernier ayant été le meilleur français de la coupe du Monde en Angleterre. Et même si Sochaux fait monter les enchères, l’affaire se conclue aux alentours des 400.000 francs, une somme particulièrement élevée pour l’époque surtout à l’encontre d’un défenseur.

Toutefois, ses débuts dans le Forez sont compliqués. Certes, ses talents sont indéniables ; son jeu de tête est phénoménal, certainement l’un des meilleurs d’Europe, et son placement est parfait. Il est un titulaire indiscutable mais sa personnalité extravertie ne convainc pas l’entraîneur, Jean Snella, obsédé par la gestion de son groupe où seul compte l’efficacité collective. D’ailleurs, Bernard est à l’origine de sérieux accrochages avec ses co-équipiers et il faut souvent y mettre bon ordre avant que cela ne dégénère. De plus, Bosquier est un adepte des gestes inutiles pourvu qu’il soit beaux même s’ils n’ont aucun intérêt à l’image de ses retournés en pleine surface de réparation pour dégager son camp ce qui exaspère le coach, ce dernier préférant, évidemment, les relances précises et efficaces.

N’y tenant plus, au bout de six mois, Snella le convoque à son bureau pour un réquisitoire sans concession malgré le statut du joueur. Contre toute attente, même s’il est touché dans son orgueil (et on sait qu’il n’en manque pas), Bernard Bosquier démontre à cette occasion toute l’étendue de son intelligence. Il encaisse les critiques sans coup férir et entreprend de réaliser les efforts demandés. Bien lui en prend car il ouvre à cette occasion son palmarès avec son premier titre de champion de France en 1967. Il enchaîne avec trois autres championnats en 1968, 1969, 1970 et ajoute deux coupes de France en 1968 et 1970. Il est au sommet de son art. Elu meilleur joueur français en 1967 et 1968, capitaine de l’équipe de France, rien ne semble l’arrêter. Et pourtant en 1971, alors que l’AS Saint-Etienne se dirige tout droit vers un cinquième titre consécutif, il est au centre d’un cataclysme dont l’onde de choc balayera tout sur son passage.

BERNARD BOSQUIER ET LE CONTRAT A TEMPS

Bernard Bosquier est impliqué d’une affaire qui trouve son origine dans l’instauration du contrat à temps en 1969. Auparavant, les joueurs étaient liés à leur club jusqu’à l’âge de 35 ans et ne pouvaient pas décider de leur avenir. Cette nouvelle règle est une véritable révolution et visiblement Roger Rocher, le président de l’ASSE, n’y est pas encore préparé. Pour ne pas avoir su anticiper, il se fait souffler son gardien, Georges Carnus, et son défenseur, Bernard Bosquier, dont les contrats s’achèvent en juillet 1971 et qui s’engagent moralement, bien avant la fin du championnat, avec l’Olympique de Marseille, la saison suivante. Or, il convient de se souvenir qu’à cette époque, l’OM est l’ennemi héréditaire (les deux présidents se haïssent) et dès lors ce transfert apparaît comme une véritable trahison.
Il faut avouer que Bernard Bosquier s’était vu refuser par Roger Rocher une prolongation de contrat qui aurait pu courir jusqu’en 1973. Pas intéressé par les clauses proposées par le joueur, le président lui aurait rétorqué « je ne veux pas faire de toi un fonctionnaire du club ».

Dès lors, le défenseur international, qui veut assurer son avenir, étudie toutes les propositions qui lui parviennent. Et elles sont légions. Tour à tour, Monaco, Nice, Reims, Rennes, Paris, Strasbourg et Stuttgart se manifestent jusqu’à ce que Marseille, fort de ses moyens financiers, n’emporte la décision. Dans un premier temps, il semble que Roger Rocher, mis au courant des tractations en cours, n’ait pas voulu participer à la surenchère soit à cause d’une trésorerie insuffisante soit parce qu’il estime devoir tourner la page Bosquier. Ainsi, au retour du match Hongrie-France du 24 avril 1971, Marcel Leclerc, le président de l’OM, rencontre le défenseur central et le gardien international avec qui il parvient à un accord moral pour rejoindre les rangs olympiens la saison suivante.

Alors que la situation était sous contrôle, les principaux intervenants ayant promis de rester discrets, plusieurs événements ont mis le feu aux poudres :
• Le 9 avril, Lyon humilie l’ASSE en match aller-retour des huitièmes de finales de la Coupe de France. Battus 2-0 à Geoffroy-Guichard, les Lyonnais s’imposent 3-0 à Gerland grâce à un triplé de… Di Nallo. Dépassé, Bosquier n’a pu que constater les dégâts ;
• Le 6 mai, après une probante victoire sur Metz (6-0), le quotidien « Le Progrès » révèle « Razzia spectaculaire sur l’AS Saint-Etienne » officialisant le transfert des internationaux sur la Canebière. Ces derniers jurent n’avoir encore rien signé mais le doute commence à s’installer dans l’opinion publique ;
• Le 9 mai, Bordeaux vient s’imposer 3-2 dans le Forez et la presse, notamment le « Dauphiné Libéré » tire à boulets rouges sur les partants dont on critique désormais quasi-ouvertement leur impartialité ;
• Le 10 mai, les deux présidents stéphanois et marseillais ont une explication musclée en direct sur les ondes d’Europe 1. Roger Rocher est alors persuadé d’être victime d’une machination. Il croit savoir que ses joueurs ont déjà signé un contrat avec l’OM d’autant plus que les Olympiens fondent sur les Verts dont le cinquième titre consécutif est menacé. Il en fait une question d’honneur et avec Rocher on ne transige pas sur l’honneur.

LICENCIE PAR L’ASSE AVEC SON CAMARADE CARNUS

Le 12 mai 1971, le conseil d’administration de l’ASSE licencie sur le champ Bernard Bosquier et Georges Carnus coupables aux yeux de la direction de faute grave pour avoir divulgué publiquement leur départ pour l’OM. Bien entendu, c’est la consternation et l’indignation dans le monde du football stupéfait par la gravité de la sanction. Malgré la médiation de plusieurs responsables nationaux, de l’UNFP, pour revenir à plus de modération, la décision est irrévocable. Les conséquences sont terribles pour Saint-Étienne. Les joueurs, déstabilisés, d’effondrent dans la dernière ligne droite et ils sont coiffés sur le poteau par Marseille malgré les 42 buts de Salif Keita cette saison-là. La dynamique est définitivement cassée et les Verts rentrent dans le rang terminant 6e lors du championnat 1971-72.

Quant à Bernard Bosquier, il remporte le doublé coupe-championnat dès sa première année à l’OM où il effectue encore de belles prestations. Au terme de sa carrière qu’il termine à Martigues en 1974 et ponctuée par 42 sélections en équipe de France, il est un des premiers à lancer des stages de football à destination des joueurs en herbe. Ils connaissent un vif succès au point que d’autres suivront son exemple. Par la suite, il devient directeur sportif de Marseille mais également de Saint-Etienne où il découvre Grégory Coupet, fait venir Jean-Pierre Cyprien, Titi Camara et surtout Lubomir Moravcik. Comme ce dernier tardait à s’imposer, la direction de l’époque l’a gentiment poussé vers la sortie.

Il n’en reste pas moins que Bosquier a été un élément déterminant permettant à l’ASSE de construire son hégémonie sur le football français à la fin des années 60. Il est donc normal que mariage entre le meilleur joueur de l’hexagone et la meilleure équipe n’ait pu donner que des étincelles et ce, dans tous les sens du terme.